Première Partie
Nous souhaitons aborder ici le problème du ou des principes unificateurs des disciplines scolaires, c'est-à-dire de ce qui en assure la cohérence, ce que plusieurs auteurs ont appelé "la matrice disciplinaire". Pour certains, la matrice disciplinaire assure la cohérence des objectifs disciplinaires et justifie les activités de classe. Pour d'autres, la matrice disciplinaire assure la seule cohérence des savoirs d'une discipline. A la suite de son étude des méthodologies dans l'enseignement des langues vivantes, Christian Puren (1988) a pu discerner une matrice générale des finalités de l'enseignement des langues vivantes, construite sur le modèle du latin qu'elles ont imité: un objectif linguistique avec l'apprentissage de la langue étrangère, de la langue française et de linguistique; un objectif culturel par l'apprentissage de la culture étrangère, de la culture humaniste et de la culture française et un objectif éducatif par l'éducation intellectuelle, morale et esthétique (Puren 1990: 30). Ces finalités de l'enseignement des langues sont rappelées par les Instruction Officielles du Ministère de l'Education nationale. Elle sont représentées schématiquement dans le tableau suivant de Christian Puren et élargies à l'ensemble des disciplines par Maurice Sachot. Telles sont les premières conceptions de la matrice disciplinaire qui révèlent la cohérence des finalités propres des disciplines scolaires. Pour d'autres auteurs, comme Michel Develay (1992: 43-51) la matrice disciplinaire assure la cohérence non plus des finalités de l'enseignement, mais celle des savoirs scolaires d'une discipline (1992: 49) " Remarquons encore que les matrices disciplinaires ne sont pas forcément les mêmes aux différents niveaux de la scolarité. La biologie de l'école primaire ne relève pas du même principe organisateur que la biologie du collège. Actuellement, l'école primaire développe une biologie de l'organisme, alors que le collège développe une biologie plus interactionnelle." et des méthodes et techniques d'enseignement (1992: 50) : " Le professeur de LV ne peut plus rester derrière sa table, s'il veut avoir un enseignement conforme au nouveau paradigme communicationnel de sa discipline. (...) Il lui importe donc de clarifier l'épistémologie de sa discipline, afin de mettre en cohérence objets d'enseignement, méthodes et techniques d'enseignement, théories de référence." La matrice des savoirs disciplinaires présentée par Develay ne peut fonctionner qu'au sein d'une "matrice idéologique", c'est-à-dire d'un ensemble d'objectifs de formation. Quand ces objectifs restent au niveau du non-dit, ils cèdent la place au souci d'efficacité immédiate et négligent l'aspect formateur des esprits que doivent avoir les disciplines scolaires. N'ayant plus de cadre général, il devient difficile de rénover les savoirs disciplinaires. ou bien l'on risque d'enfermer les élèves dans l'étau réducteur des référentiels d'enseignement, comme l'a montré Maurice Sachot (1995). La matrice des objectifs disciplinaire de Puren (1990) a été reprise par Maurice Sachot (1994: 59-60) qui a remarqué qu'elle pouvait être étendue à l'ensemble des disciplines. Appelée "matrice conceptuelle", "matrice disciplinaire" ou "matrice idéologique", elle a été ainsi définie: "La matrice idéologique distribue les objectifs d'un enseignement secondaire selon trois finalités distinctes": - la formation disciplinaire (spécifique, de langue française et de métalangue), - la formation culturelle (d'expression française, de culture spécifique et de culture générale) - la formation éducative (éducation intellectuelle, morale et esthétique). M. Sachot fait encore remarquer que chaque discipline tend à être autonome et holistique par un enfermement systémique et qu'elle révèle une propension à renforcer le pôle conceptuel au détriment des savoirs et de l'éducation. Ainsi, l'enseignement des sciences exactes comme les mathématiques assureraient en plus de l'apprentissage des mathématiques et de leur "métalangue", la formation morale, culturelle et linguistique des lycéens. Nous retiendrons les définitions de Puren et de Sachot pour en débattre, et pour rechercher les articulations qui relient les objectifs disciplinaires aux pratiques pédagogiques. Nous tenterons de découvrir si les pratiques pédagogiques dépendent de cette "matrice idéologique" et dans quelle mesure, ou bien si, au contraire, elle en est indépendante et n'évolue pas avec les pratiques pédagogiques ni avec les conceptions de l'apprentissage des langues vivantes. Constatons tout d'abord que les objectifs de l'enseignement tels qu'ils sont décrits par Puren et Sachot correspondent non pas à un souci de formation des jeunes, mais de sélection de l'élite dans le lycée républicain. Ces objectifs ne pouvaient être atteints, de fait, que par une infime partie des adolescents. Une toute petite proportion des classes d'âge se trouvait réellement concernée, car les moyens pédagogiques utilisés en lycée -ou plutôt leur absence- servaient davantage à la sélection des "meilleurs", de ceux qui apprenaient par abstraction et possédaient une certaine forme de culture, qu'à la formation de la jeunesse de tout un pays. Avec l'arrivée des masses au lycée (62,5% d'une classe d'âge a obtenu le baccalauréat en 1995), ces objectifs sont, comme nous le verrons à l'exemple des langues étrangères et de l'allemand en particulier, peu à peu délaissés, alors même qu'ils sont maintenus dans les préambules des Instructions Officielles. Ils ont été remplacés de fait par un objectif de formation pour tous, ce qui a changé la nature de la matrice disciplinaire et induit une vision nouvelle à la fois des contenus d'enseignement et des méthodes pédagogiques. En effet, il faut désormais mener à un bon niveau les faibles comme les forts et non plus seulement les élèves doués pour les études qui peuvent se passer de pédagogie. Dans l'enseignement des langues, toutefois, les anciens objectifs ont été maintenus pour l'essentiel et l'on a voulu croire que la matrice disciplinaire continuait de fonctionner, c'est-à-dire que les finalités de l'enseignement étaient restées les mêmes. La situation devenue bancale, un malaise s'est installé chez les enseignants, qui s'est reflété dans les hésitations, voire les contradictions de l'Inspection pédagogique. Le vocabulaire utilisé ne reflète plus guère la réalité vécue: des glissements de sens successifs des notions de discipline, de culture et d'éducation se sont opérés que nous tenterons de discerner ci-après. Ensuite, nous nous appuierons sur les nouvelles conceptions de l'apprentissage des langues et sur les études concernant les didactiques les plus efficaces aux yeux des chercheurs et des praticiens pour discerner les éléments inadéquats de l'ancienne matrice disciplinaire et tenter de définir les axes d'une nouvelle matrice qui pourrait s'imposer progressivement. Plus que les autres langues, l'allemand, considéré comme discipline scolaire, illustre assez bien les transformations opérées. En effet, le nombre d'élèves qui apprennent cette langue en France est en diminution rapide, ce qui oblige enseignants et inspection à une remise en cause, à une analyse approfondie de la situation tant du point de vue des contenus que de la didactique. Parce qu'elle ne peut mettre du vin nouveau dans des outres anciennes, l'inspection d'allemand a dû réagir énergiquement, quoiqu'à plusieurs voix (cf. Zehnacker 1995, et Pernet 1994). Dans des prises de position que certains jugeront radicales, plusieurs inspecteurs généraux ont mis en évidence la juxtaposition de deux conceptions peu compatibles: la sélection par l'enseignement et la formation pour tous à travers le même enseignement. Tout au long de cette étude, nous approfondirons la genèse de cette division conceptuelle, ainsi que ses conséquences sur le quotidien de la classe et sur les modifications de la matrice disciplinaire qu'elle suppose. 1. Les changements dans les objectifs disciplinaires. Les notions de discipline, de culture et d'éducation ont connu des glissements de sens. La matrice disciplinaire de Puren (1990) concerne les objectifs poursuivis à travers l'étude de disciplines comme le latin. On s'est ensuite aperçu (Sachot 1994) qu'elle pouvait rendre compte des objectifs de toutes les disciplines. Mais qui dit objectif entend aussi évaluation: nous tenterons donc de vérifier dans quelle mesure les objectifs ont été atteints. Le baccalauréat étant l'examen de fin d'études, nous étudierons les modalités et la pertinence des épreuves au regard de l'objectif culturel, puis de l'objectif éducatif et enfin de l'objectif formatif. 1.1 Les glissements de sens du terme "culturel" Dans "L'Histoire des méthodologies" (1990), Puren a bien mis en valeur les objectifs culturels que proposaient les Instructions Officielles depuis 1850. Un examen attentif des contenus culturels en question et des moyens de les enseigner met en évidence les glissements de sens importants qui sont apparus depuis quelques décennies. Lors de l'introduction de l'enseignement des langues vivantes en lycée, la littérature étrangère était au centre des études, comme le signale Berthelot qui a dénoncé ce phénomène dès 1900: "... On enseigne aux élèves à admirer les beautés littéraires des auteurs allemands et anglais, de la même façon et par les mêmes procédés par lesquels on apprend aux élèves de l'enseignement classique ancien à admirer les beautés littéraires des auteurs latins et grecs."(cité par Puren 1990: 36). Les Instructions de 1950 continuaient de mettre les textes littéraires à la base de l'enseignement: "Cet enseignement (des langues vivantes) s'appuie à tous les échelons sur des textes empruntés dès que possible, à des écrivains de qualité (...) et choisis pour leur valeur littéraire, humaine ou sociale."(Puren id.) On considérait en effet que la littérature était le médiateur de la culture, parce qu'elle est étroitement liée à l'art, révélateur "de l'âme allemande" comme l'écrivait Hovelaque en 1910 à propos de la littérature allemande (Puren 1990: 39). Nous pensons que dans l'esprit des enseignants, le terme de culture renvoyait à la connaissance de l'art, -de la littérature en l'occurence- un art conçu selon les critères de jugement artistique de l'époque, c'est-à-dire selon des critères qui ne seraient peut-être plus admis aujourd'hui. Par l'étude d'oeuvres littéraires, on pensait accéder à la connaissance de la culture étrangère et, par comparaison à la culture française, à la culture universelle. C'est l'acception étroite du terme culture. Ce n'est qu'avec les Instructions de 1969 que d'autres documents didactiques non littéraires ont été admis. Ils devaient servir de base à un enseignement linguistique et "culturel". A partir de cette date, il faut entendre ce terme dans le sens allemand de "Kultur" (civilisation), de mode de vie. L'art est conçu désormais comme l'un des épiphénomènes de la vie d'un peuple dont on apprend la langue. Dès lors, il paraît évident que le texte littéraire ne soit plus que l'un des supports possibles de l'enseignement. Dès lors, il faut fixer comme objectif la connaissance de la "civilisation" et non plus seulement de la "culture". La civilisation peut se découvrir à travers l'étude de la langue, à partir des supports les plus divers, adaptés au niveau des apprenants: petits sketches, publicités, informations radiophoniques ou télévisées, films pour enfants, etc., alors que le texte littéraire, pour sa part, peut constituer un obstacle insurmontable à l'étude de la langue, dans la mesure où les termes utilisés par la littérature et la poésie ne se retrouvent guère dans la langue courante, sinon dans des acceptions différentes. Seule à avoir été apprise en classe, la langue littéraire a souvent empêché la communication au quotidien, soit en classant le locuteur dans le monde à part des savants et des lettrés, pour les meilleurs, soit en provoquant l'hilarité quand le discours agrammatical des plus faibles était ponctué de termes hautement littéraires. C'est ce qui engendre ces tournures taxées de charabia que connaissent bien les enseignants de post-baccalauréat. Même les professeurs d'université ne parlent pas dans la vie courante comme certains germanistes français rencontrés en Allemagne et qui n'ont jamais eu l'occasion d'apprendre la langue parlée courante. La place de la littérature dans l'enseignement peut se comprendre par l'influence de la philosophie platonicienne. On a considéré que la culture artistique et littéraire permettait d'accéder à toutes les connaissances, alors que la linguistique appliquée a permis de démontrer que c'est la connaissance de la langue courante, sublimée par les artistes dans la littérature ou la poésie, qui peut servir de tremplin aux formes plus raffinées du langage. Comme nous le verrons plus loin, les Instructions d'allemand toujours en vigueur en 1995 continuent de révéler la préférence de quelques Inspecteurs Généraux d'allemand pour la littérature, en insistant sur la nécessité de choisir comme base d'enseignement le "texte d'auteur". Actuellement, ce choix est prudemment contesté par une partie de l'Inspection Générale (Pernet et al. 1994) qui dresse un bilan pessimiste de cette directive et soumet à la réflexion des enseignants de nombreuses propositions pour adapter l'enseignement de l'allemand . L'objectif culturel fait-il l'objet d'une évaluation au baccalauréat ? En dressant le bilan des résultats obtenus dans l'enseignement, les inspecteurs soumettent les options de leurs prédécesseurs à la loi de l'efficacité des apprentissages. Cette efficacité peut être mesurée en partie par les épreuves du baccalauréat. L'on est en droit de se demander d'une part si les objectifs énoncés dans les Instructions font l'objet d'une évaluation, et d'autre part ce que les épreuves du baccalauréat mesurent réellement. Depuis 1995, la réforme du baccalauréat de langues vivantes vise à remettre au programme un choix d'oeuvres littéraires. Cette tentative n'a pas pu aboutir en allemand. En anglais, les oeuvres au programme s'inscrivent plus dans une optique de "lecture suivie" que dans celle d'une étude littéraire. Cette réforme ne concerne cependant qu'un infime pourcentage des bacheliers, ceux qui prennent l'option de langue renforcée, dans une épreuve orale. Tous les autres candidats composent à l'écrit. En allemand, il y a en premier lieu l'épreuve de compréhension d'une "page d'auteur". Mais le terme est peu approprié, dans la mesure où il s'agit, comme les années précédentes, d'un texte simplifié, didactisé. Les tâches à effectuer concernent la compréhension de l'explicite et de l'implicite du texte, sans référence aux techniques littéraires, ni à la connaissance de la littérature allemande. Il y a ensuite des exercices grammaticaux, une brève traduction et un devoir d'expression écrite. Comme on le voit, les aspects littéraires, esthétiques ne font guère l'objet d'évaluation au baccalauréat, ce qui est une marque de réalisme, car peu de candidats en seraient capables. L'épreuve de LV2, parfois optionnelle, se déroule oralement pour les candidats, à l'exception de ceux de la série littéraire. Parmi les documents présentés à l'oral, il y a parfois des "pages d'auteur", étudiées en cours avec le professeur. Ces textes posent de gros problèmes à beaucoup de candidats, car la langue littéraire allemande est souvent d'un accès difficile pour des élèves de LV2 qui se sentent en permanence en situation d'échec, comme le constatent certains inspecteurs: "Plus grave encore, en LV2, une partie assez importante des élèves se trouve en situation d'échec permanent. Nombreux sont dans certains groupes les élèves résignés à ne rien comprendre, à ne rien pouvoir exprimer." (Pernet et al. 1994: 49) Il est permis de penser que l'on assistera à la disparition progressive du texte littéraire authentique et à son remplacement par des textes simplifiés ou de documents informatifs variés, d'accès plus aisé et plus agréable pour l'ensemble des élèves de LV2 au lycée. Quand le culturel devient le civilisationnel Puisqu'en allemand le texte littéraire, celui de la "culture" au sens traditionnel, est de moins en moins l'objet d'étude au lycée, l'enseignement de cette langue ne peut plus guère s'attribuer d'"objectif culturel". Désormais, c'est la connaissance de la "civilisation", de la "Landeskunde" qui participe le plus de l'apprentissage de la langue. Ce terme est à prendre dans le sens retenu par Galisson (1980) quand il prône l'enseignement des "langues et cultures". En effet, la compréhension de nombreuses expressions ou bien de la façon de présenter les faits est liée à la connaissance des faits de civilisation, du mode de vie et parfois des modes en vogue dans un pays. Michel Develay (1992) cite l'exemple allemand "der lange Samstag" traduit mot à mot par "le samedi long", ce qui ne prend son sens en français que si l'on connaît certaines habitudes allemandes. En effet les commerces doivent fermer le samedi à 13 heures, sauf le premier samedi du mois où ils peuvent rester ouverts jusque 16 heures, jour appelé "samedi long". Ainsi la compréhension de la langue en situation de communication est étroitement liée à la connaissance de la vie dans le pays. Les inspecteurs l'ont bien compris qui proposent de "...déterminer un programme de Landeskunde en relation avec l'objectif de communication traduit en termes de compétences." (Pernet et al. 1994: 54) Il y a donc eu un glissement du sens du terme "culture", compris tout d'abord comme la connaissance des arts et la capacité de les apprécier, à celle du mode de vie, du quotidien des Allemands ou des Autrichiens, ce qui entre davantage dans le concept de "civilisation", comme l'illustre encore Michel Develay (1992: 46) "Hier, l'enseignement des langues vivantes était d'abord envisagé pour permettre l'acquisition d'une culture. La discipline au niveau conceptuel s'incarne dans l'ensemble des situations qui permettent de développer les concepts de communication et de civilisation." Cette deuxième façon de comprendre la connaissance culturelle d'un pays entre parfaitement dans le cadre de l'"objectif communicationnel" donné à l'enseignement des langues au lycée, comme nous l'avons évoqué ci-dessus, car il n'est possible que communiquer avec les Allemands qu'avec les mots adaptés au contexte d'énonciation et jusqu'à preuve du contraire, la communication n'utilise le style littéraire que dans de rares situations. Toutefois, en introduisant l'objectif communicationnel, qui se trouve participer à la fois de l'objectif disciplinaire et de l'objectif culturel -comme l'a montré Puren (1994), les Instructions de 1987 ont entraîné bien d'autres bouleversements qui mettent à mal la matrice disciplinaire. 1.2. Les changements dans l'objectif de la discipline Comme le signalait Michel Develay (1992: 46-50) ci-dessus, l'introduction d'un objectif nouveau, celui de la communication en langue étrangère, a transformé le mode de travail en classe de langue. La discipline, en l'occurence l'allemand, qu'il faut maîtriser, n'est plus la belle langue littéraire ou grammaticale. La connaissance du système linguistique en vue de la traduction en français (la "version") et de la réussite de "thèmes" a été subordonné à la capacité de communiquer en langue étrangère, le cours prenant une tournure essentiellement orale. Dans les classes de lycée à 36-38 élèves, cela a entraîné le mutisme d'une grande partie de la classe au profit des meilleurs, comme le regrettent les Inspecteurs: "(...) mais que de fois sommes-nous déçus par le comportement de la classe, seuls quelques "bons" élèves sont en mesure d'intervenir activement et efficacement, les autres font ce qu'ils peuvent ou bien attendent des jours meilleurs." (Pernet et al. 1994: 22) Il n'est cependant pas encore permis d'affirmer que les enseignants de lycée aient tous compris les conséquences du changement d'objectif. Comme le signale M. Develay (1992: 49) avec Philippe Meirieu, beaucoup en sont à ressentir une certain malaise: "Le malaise enseignant provient sans doute aussi de la non-réceptivité des professeurs aux changements de matrice disciplinaire, avec les modifications d'enseignement qu'ils supposent. Etre professeur de langues vivantes aujourd'hui est un nouveau métier, pour reprendre les propos de Philippe Meirieu, parce que les élèves ont changé, mais aussi parce que la matrice disciplinaire a changé. Le professeur de langues vivantes ne peut plus rester derrière sa table, s'il veut avoir un enseignement conforme au nouveau paradigme communicationnel de sa discipline." Si nous sommes d'accord avec Puren (1990: 43) pour affirmer que les deux nouveaux objectifs présentés par les Instructions de 1987 sont à cheval sur les objectifs traditionnels: la réflexion sur la langue tenant à la fois de l'objectif linguistique et de l'objectif de formation intellectuelle et l'objectif communicationnel participant de l'objectif linguistique tout autant que de l'objectif culturel, nous pensons néanmoins que nous assistons à la mise en place progressive d'une nouvelle "matrice disciplinaire" au sens de Puren et Sachot, avec une disparition de l'objectif culturel au profit d'un autre ensemble d'objectifs, comme nous le verrons dans la deuxième partie. 1.3. De la difficulté de définir l'objectif éducatif Peut-on encore parler aujourd'hui d'éducation intellectuelle, esthétique et morale? Pour ce faire, il faudrait qu'un pays tout entier soit d'accord sur les valeurs à promouvoir. Sur quelles valeurs intellectuelles, esthétiques et morales y a-t-il encore consensus en France aujourd'hui? Le "problème du voile islamique" a divisé les membres des partis politiques, des syndicats, des églises. On trouve dans beaucoup de lycées des professeurs de langues qui tentent d'éduquer à la tolérance par la perception positive de l'altérité, par leur enseignement, et parfois des professeurs d'histoire ou d'économie qui démontrent qu'il est politiquement et économiquement nécessaire que "les étrangers rentrent chez eux", car ils seraient aujourd'hui un poids pour le pays. Heureusement que la plupart des enseignants savent expliquer que le pays a une dette envers ceux qui ont été déracinés par la pauvreté et dont on a eu besoin dans les usines pour créer les richesses que nous connaissons. Constatons par ailleurs qu'il est difficile d'éduquer à la solidarité dans un système scolaire qui s'est presque toujours ingénié à mettre les élèves en concurrence entre eux, -sélection oblige! Quant à la notion du beau, il suffit d'étudier l'histoire de l'art et des civilisations, et de contempler de nombreuses sculptures contemporaines pour convenir que le beau est une notion très relative, même en littérature, et qu'elle dépend souvent des idéologies dominantes, comme on l'a vu avec le "réalisme socialiste" et sa notion très particulière du beau. Il semble qu'en cette fin de XXe siècle, l'idéologie qui domine le monde soit plus le "make money" américain que celle de la Déclaration des Droits de l'Homme. Nous verrons à la fin de cette étude qu'un tout autre paradigme pourrait être à l'oeuvre dans l'enseignement français et européen., répondant davantage aux impératifs de la complexité (Morin, 1990: 12) qu'aux idéaux simples des Lumières (le Beau, le Bien, le Vrai), objectifs éducationnels que l'on retrouve dans la matrice disciplinaire traditionnelle. Nous venons de constater que les trois groupes de finalités de l'enseignement de l'allemand, les finalités culturelles, les finalités disciplinaires et les finalités éducatives avaient considérablement évolué à la suite de l'abandon du culturel pour le civilisationnel, du grammatical pour le communicationnel et de par la relativisation des valeurs traditionnelles de la société. Il existe, comme nous l'avons annoncé, un autre groupe de facteurs de changements: celui qui provient de l'entrée en masse des jeunes dans les lycées et de ses conséquences sur la conception de l'enseignement et de l'apprentissage, d'une part, et sur la didactique des langues étrangères dans les classes largement hétérogènes, d'autre part. 2. La conception de l'apprentissage des langues a largement évolué 2.1. Les styles d'apprentissage Dans la mesure où la recherche en didactique a démontré que la méthode d'enseignement par exposition et questionnement ne convenait qu'à une petite partie des classes, alors que la méthode "didactique" (Altet 1994) permettait à la totalité des élèves de se mettre en recherche et de construire un savoir en profondeur, il s'avère utile de tenter de comprendre comment s'effectue l'apprentissage des langues chez les différents types d'apprenants. L'expérience des enseignants et les recherches de La Garanderie ont montré que certains apprenants visualisaient l'image des mots, que d'autres les retenaient par des moyens mnémotechniques associés aux sons (proche d'un mot de la LM), pour d'autres le travail sur les règles de dérivation -parfois sous forme de tableaux visualisés- ou des rapprochements avec les connaissances antérieures s'avéraient plus efficaces, alors que d'autres apprennent de manière contrastive en comparant systématiquement tout à leur langue maternelle. Dans sa classe, le professeur ne pourra plus ignorer cet état de fait. 2.2. Dissocier compréhension et production, à l'oral comme à l'écrit D'autres chercheurs ont montré que l'on peut très bien comprendre une langue étrangère sans pouvoir la parler (cas de nombreux Polonais en France, par exemple), ou de la lire sans pouvoir l'écrire. Si les progrès dans l'une des quatre compétences (compréhension orale et écrite, expression orale et écrite) peut entraîner des progrès dans les trois autres, il n'y a pas pour autant parallélisme des progrès. Les enseignants le savent bien qui ont réappris, après les abus de certains tenants du structuro-globalisme, à distinguer par exemple le vocabulaire passif (celui que l'on reconnaît) du vocabulaire actif (celui que l'on peut se rappeler). De plus, les capacités de compréhension orale diffèrent des capacités de compréhension écrite. En effet, l'apprenant développe des stratégies différentes: à l'oral, il fera jouer l'accent de phrase pour repérer les termes importants et fera jouer ensuite les règles morpho-syntaxiques (déclinaisons qui marquent la fonction et place des groupes qui indique aussi les fonctions), alors qu'à l'écrit, la règle de l'intonation ne sera d'aucun secours, les mots de liaison, d'articulation du discours serviront de repères avant que n'entrent en jeu les règles morpho-syntaxiques. 2.3. Nécessité de la contextualisation socio-affective Alors que la reconnaisssance des termes suffit pour leur compréhension, lors de l'expression orale ou écrite, il se produit un phénomène plus complexe de rappel des termes déjà rencontrés. Si les termes ont été appris hors contexte, à partir d'une traduction, le locuteur devra passer par la langue maternelle et procéder par traduction, ce qui demande un coût élevé en temps et en énergie. A l'opposé, le "mot juste" viendra avec d'autant plus de précision et de rapidité qu'il aura été appris en contexte socio-affectif (petite histoire, événement marquant, image forte, émotion etc.) et réemployé auparavant dans différents contextes acceptables, comme le souligne C. Aubertin: "Les tâches spécifiques destinées à l'entraînement à la compréhension ont ainsi forcément des répercussions sur l'acquisition des moyens d'expression." (in : Pernet et al. 1994: 29) Par exemple, l'emploi des auxiliaires de mode et de tous les termes qui n'ont pas d'équivalent exact en français ne pourra réussir que si l'apprentissage a été souvent et fortement contextualisé. Cette nécessité de contextualisation forte aura des incidences sur la conception des méthodes et des pédagogies. Les didacticiens ne pourront plus, par exemple, appeler "leçon de progression" le premier contact avec un texte oral ou écrit (Gilbert et al. 1993: 10), car la première approche d'un document en langue étrangère est déjà une occasion de production de sens, à partir de rappel des connaissances, induction, déduction, transfert et mémorisation. La contextualisation de l'apprentissage demande de chaque élève un investissement personnel: il s'agit alors pour l'enseignant de faire en sorte que chaque élève puisse, quel que soit son niveau, se mettre en recherche active, gérer son apprentissage au sein d'activités variées qui le mèneront à "des opérations d'inférence, de production, de jugement et de métacognition." (Altet 1994: 106) 2.4. Une nouvelle conception des manuels et méthodes La motivation de l'apprenant qui est la priorité des enseignants, sans être forcément celle des concepteurs de programmes ou de méthodes, est désormais placée comme condition préalable à tous les choix pédagogiques. Un concepteur de manuel ou de méthode destinée aux élèves de lycée veillera ainsi à la variété des exercices et des thèmes proposés, à leur adaptation à la mentalité des apprenants, il leur donnera la possibilité de parler d'eux-mêmes et de leurs problèmes, de leurs préoccupations et de leur devenir. La progression grammaticale ou lexicale ne sera plus l'unique charpente méthodologique, cette progression sera multiple et prendra en compte l'hétérogénéité des connaissances, des habiletés et des intérêts des lycéens d'une même classe. Le professeur sera chargé de conseiller chacun pour qu'il apprenne avec succès, de manière à progresser ou à consolider les acquis. Ainsi, certains élèves pourront accentuer le travail de lecture suivie, alors que d'autres prépareront la présentations d'émissions de la télévision étrangère, ou réaliseront un programme de rattrapage grammatical ou inventeront des sketches. Dans la mesure où des activités semblables auront lieu dans différentes classes, cette façon de travailler ne constituera pas nécessairement un surcroît de travail pour le professeur. 2.5. Le rôle du professeur a changé Le rôle du professeur découle pour une grande part de ce que nous avons constaté précédemment. Les élèves, motivés par des recherches personnelles, seront préparés à écouter et comprendre leur enseignant qui jouera aussi des ressources théâtrales pour impressionner les élèves, pour les entraîner sur certaines voies de la connaissance. Mais ceci ne pourra se produire que de manière épisodique. L'essentiel de l'activité enseignante sera de stimuler, d'encourager, d'aider à effectuer les bons choix d'activités des individus et des groupes, comme le propose Marguerite Altet (1994: 122) "Actuellement, l'enseignant du secondaire ne crée pas suffisamment de situations d'apprentissage, ne met pas en place assez d'activités, de conditions dans lesquelles les élèves se posent des questions, et mènent une recherche réelle par eux-mêmes. Nous ne dénions pas tout intérêt au questionnement; (...) nous regrettons qu'il soit si systématiquement utilisé et qu'il laisse si peu de place à d'autres pratiques plus actives donnant plus d'initiative à l'élève, par exemple des situations-problèmes où les élèves cherchent et élaborent eux-mêmes le savoir." 2.6. Le rôle de l'évaluation L'inspection d'allemand (Pernet et al. 1994) a mis en garde contre la multiplication des évaluations sommatives à l'oral comme à l'écrit. Cela consiste en classe de Terminale, par exemple, à proposer comme seule activité d'apprentissage les devoirs tirés des annales du baccalauréat d'allemand. Selon les didacticiens cités, il est souhaitable que l'évaluation soit formative, c'est-à-dire qu'elle serve à l'apprenant à faire le point de ses acquis dans un domaine donné. Cela permet aux moins avancés d'une classe de constater leurs progrès et de rester motivés pour l'apprentissage. Sous la pression des "nouveaux lycéens", mais aussi des recherches en linguistique et en didactique, une nouvelle conception de l'apprentissage des langues étrangères a ainsi pris corps. Elle est intégrée petit à petit dans le monde enseignant et dans le grand public. La relation pédagogique en a été changée, comme nous venons de le constater. Il en découle une organisation nouvelle de la classe de langue. Nous tenterons dans le point suivant de dégager les principales caractéristiques de cette nouvelle "didactique des langues et cultures" (la DLC, expression due à Robert Galisson). 3. La nouvelle didactique 3.1. Une démarche pragmatique Les enseignants de lycée connaissent désormais un public nouveau (Develay, 1992:50) composé de la quasi totalité d'une classe d'âge. Très souvent les meilleurs sont regroupés dans des classes spéciales dites bilingues, trilingues ou européennes. Les autres élèves de Seconde ne seraient pour la plupart pas entrés en lycée il y a une vingtaine d'années. Face à ce public nouveau, la pédagogie traditionnelle réussit de plus en plus difficilement. Les enseignants sont parfois désemparés. Plusieurs chercheurs en didactique (Tochon, Postic, Altet) ont constaté qu'en collège certaines pédagogies assuraient la réussite de l'apprentissage à tous les élèves d'une classe. Prenons à titre d'exemple les constatations faites par M. Postic (1992: 166): "Un changement réel des possibilités pédagogiques ne peut s'opérer que si l'institution donne davantage à l'enseignant la possibilité d'instaurer des formes variées d'organisation des situations pédagogiques." L'institution interpellée n'a pas tardé à réagir. Dans un ouvrage récent (Pernet et al., 1994) publié sous l'égide de trois Inspecteurs Généraux d'allemand, des Inspecteurs Pédagogiques Régionaux prennent en compte cette nouvelle donne et proposent une véritable révolution dans la conception du cours d'allemand en lycée, en incitant à travailler désormais avec tous les élèves de la classe autour d'activités variées, rejetant par là l'étude de texte à de rares séances bien préparées. Voici un passage significatif de ce document: "Cet enseignement de langue par le canal presque exclusif des échanges oraux en classe plénière entraîne souvent une mise en dépendance étroite des élèves selon le schéma classique: initiative du professeur, réponse des élèves, réaction/évaluation du professeur. Les moins bons d'entre eux, perpétuellement en compétition avec les meilleurs auxquels conviennent plus particulièrement les exercices proposés, se replient et décrochent, mais sous l'effet de la routine qui s'installe, l'absence de curiosité, l'ennui et la passivité s'étendent aux autres également. (...) Pour que les élèves s'approprient la langue, celle-ci doit servir leurs intentions: ils seront motivés à écouter, lire, dire, en fonction des raisons pour lesquelles ils se proposeront d'écouter, lire ou parler. Il s'agit donc pour le professeur de susciter chez eux des besoins pour les inciter à rechercher et à acquérir, en s'engageant dans des activités pourvues d'un sens (projet), des savoirs et des savoir-faire leur permettant d'appréhender le monde et d'agir." C'est un très fort recentrage sur la réussite des élèves dans l'apprentissage de la langue étrangère. De ce fait, les Inspecteurs relativisent les objectifs culturel et éducatif, au point d'en faire la conséquence très indirecte de l'apprentissage, sans réelle incidence sur l'enseignement. Nous avons vu ci-dessus que l'enseignement des langues soumet l'objectif culturel à l'apprentissage des langues par le biais de l'étude de certains aspects de la civilisation contemporaine, dans la mesure où cela permet de mieux comprendre la langue en action. Les principes unificateurs de l'enseignement disciplinaire qui sont le plus souvent énoncés aujourd'hui par les Inspecteurs d'allemand et les praticiens chercheurs sont: la réussite de l'élève (et non plus celle de l'élite), la variété des modes d'apprentissage et donc des activités qui y conduisent, le travail en groupes restreints et l'autonomisation de l'élève dans son apprentissage. 3.2. Les grandes lignes de cette nouvelle didactique de l'allemand 3.2.1. L'étude de la langue "en action" -Les tâches ont remplacé l'analyse de texte Les tâches de compréhension et les tâches de recherche du sens, de recherche de grammaire et de recherche d'expression dans la langue ont remplacé l'analyse de texte et la recherche de l'implicite de seuls "textes d'auteur" (I.O.). Ces tâches s'effectuent alternativement: seul, puis en équipes, puis en classe plénière, à la fois pour parer à la monotonie et pour tenir compte des différents styles d'apprenant. Lors du travail en classe plénière, l est souvent fait appel au tableau sous diverses manières (Gilbert et Hullard 1993). -Chaque élève est constamment actif, en recherche C'est donc en utilisant la langue, en la manipulant activement que se fait désormais l'apprentissage. L'élève est placé constamment non pas en situation d'écoute du professeur, mais de recherche active, seul, en duo ou en petit groupe, et il s'adresse au professeur non pas pour lui répondre (questionnement maïeutique), mais pour le consulter, après avoir demandé l'aide de ses partenaires. -Dans les interactions, donner la priorité aux épisodes adaptateurs Pour reprendre la classification de M. Altet (1994: 84), les interactions du cours de langue sont constituées pour l'essentiel d'"épisodes adaptateurs" durant lesquels le professeur s'ajuste à la demande de l'élève et l'aide à mettre en oeuvre une stratégie personnelle d'apprentissage. On tend ainsi à diminuer la fréquence des "épisodes inducteurs ", pendant lesquels c'est l'élève qui doit s'adapter au professeur. -Une grammaire d'apprentissage individualisée Pour l'élève, l'apprentissage grammatical consiste davantage en une réflexion sur le vécu de la langue. Il n'y a plus de grammaire théorique, parfaite, de la langue qu'il veut s'approprier, mais des régularités qu'il aura remarquées et qu'il intégrera dans une grammaire personnelle d'apprentissage, en constante modification. Le but ultime n'est plus qu'il connaisse bien "la" grammaire, mais qu'il parle et écrive le plus correctement possible dans la langue apprise, c'est-à-dire qu'il arrive à communiquer de mieux en mieux dans cette langue. 3.2.2. La confrontation au vécu personnel Les tâches et les activités sont conçues pour que chacun puisse se sentir concerné de différentes manières: - par la possibilité de choisir certaines activités - par des identifications indirectes ("Je conseillerais à X. ceci ou cela") - par des supports variés, agréables, qui correspondent à sa culture, tout en l'initiant à une forme de culture un peu plus exigeante et présentent la culture du pays dont il vaut parler la langue - par des choix de thèmes qui puissent le concerner 3.3.3. La reconnaissance au sein d'un petit groupe, pour combattre l'anonymat des grosses classes. Lors des travaux en assemblée plénière, chacun s'identifie à son groupe de travail pour lequel il est porte-parole quand son tour arrive. La matrice disciplinaire traditionnelle supposait des savoirs stabilisés, transmis par des enseignants bien au fait de ces savoirs et dont la pédagogie consistait à exposer ces connaissances, du moins complexe au plus complexe, sans tenir compte des styles d'apprentissage des élèves. Les objectifs supposaient la formation d'êtres identiques, relevant d'une même culture bien définie (de fait, celle d'un certain milieu social) et de connaissances inattaquables. La massification de l'enseignement a rendu caduques ces conceptions et fait apparaître la nécessité de s'adapter aux élèves présents dans les classes et qui ne pouvaient apprendre par la manière traditionnelle. La mise en place des nouvelles didactiques des langues étrangères peut-elle se concevoir dans le même cadre conceptuel? Faut-il en imaginer un nouveau, c'est-à-dire une nouvelle matrice disciplinaire? C'est la question que nous nous proposons d'aborder maintenant. 4. Incidences sur la matrice disciplinaire La nouvelle conception de l'apprentissage des langues étrangères et la nouvelle didactique qui l'accompagneont modifié les objectifs généraux concernant la matière (ou discipline), la culture, l'éducation. La matière n'est plus la belle langue littéraire, mais la langue parlée courante, la langue des médias et parfois la langue littéraire quand elle est proche de la langue de communication. La culture n'est plus conçue dans son sens étroit de connaissance de certains arts dans leurs formes classiques, mais comme la connaissance des habitudes de vie des xénophones que l'on compare à ses propres modes de vie. L'éducation morale dépasse les règles de la vie en grand groupe (la classe de 36-38) où la survie exige que le professeur impose une discipline (modèle autoritaire) pour s'intéresser à l'éducation au sens de la responsabilité au sein d'un petit groupe de travail: prise en compte de l'autre, solidarité, partage des tâches, mais aussi acceptation de la différence dans le modes de travail, dans la relation au savoir, dans les façons d'être au monde, ce que les I.O appellent l'apprentissage de l'altérité... De par sa conception autoritaire de la relation pédagogique (le maître possède le savoir et le pouvoir), la matrice disciplinaire traditionnelle est de nature intolérante. Elle suppose qu'il n'y a qu'un modèle d'apprentissage, alors que le "modèle didactique" (Altet, 1994:84), selon lequel le professeur s'adapte aux besoins de l'élève, demande le respect des particularités de chaque apprenant et n'impose aucun savoir comme absolu, ni aucun chemin unique d'accès au savoir. Il est à ce titre réellement laïque (Sachot, 1994: 70). La didactique a été souvent comprise comme manipulation. Ce qui est erroné. Comme la démocratie, elle n'a de réelle efficacité que si elle donne à chacun la liberté de construire ses savoirs à son rythme et selon ses modes particuliers (Altet 1994: 164). L'éducation esthétique n'impose plus les règles du bon goût, mais laisse à chacun la possibilité de confronter son sens esthétique à celui des autres et d'accepter toutes les formes d'art développé par les habitants d'un pays à travers leur mode de vie. L'éducation intellectuelle ne s'opère plus de l'abstrait au concret, mais par la réflexion sur le vécu, où chacun peut rechercher à son rythme et á sa manière. Conclusion de la première partie Nous avons mis en évidence les objectifs nouveaux que se donne l'enseignement dans les collèges et lycées et montré qu'ils ne coïncident plus avec la matrice disciplinaire qui s'était mise en place après la Révolution Française: On peut supposer que cela est dû au fait que l'enseignement des lycées n'est plus destiné à faire émerger une certaine élite intellectuelle, mais à former la masse des jeunes. Quand l'objectif général n'est plus de former la seule élite, mais la totalité des jeunes, dans leur diversité, il faut rejeter le moule unique de formation pour s'ouvrir á la diversité des approches du savoir. Faudra-t-il pour autant renoncer à la matrice idéologique qui soutendait cette formation de l'élite? En étudiant les didactiques mises en oeuvre et les innovations prônées par l'Inspection, nous avons constaté que les nouveaux objectifs à définir s'appuyaient sur le développement des aptitudes de chacun, par un enseignement centré non plus sur des savoirs figés, mais sur l'apprenant en train de s'autoconstruire à travers des tâches diversifiées, à travers une réflexion sur son vécu, et à travers les interactions au sein de la situation didactique. Nous en concluons que l'objectif n'est plus "la formation à", mais "le développement de" . Ces nouvelles finalités pourraient constituer la nouvelle matrice disciplinaire qui est déjà à l'oeuvre dans l'enseignement français, dont les I.U.F.M. et les M.A.F.P.E.N. engagés dans la formation permanente des professeurs sont les vecteurs les plus conscients. Alain Verreman ALTET M. (1994) La formation professionnelle des enseignants. Analyse des pratiques et situations pédagogiques, Paris: PUF (coll. "Pédagogies d'aujourd'hui"). DEVELAY M. 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