Vidéo et autoformation
Pierre Frath

Comment utiliser la vidéo pour l'apprentissage des langues en autonomie ? Dans une situation d'apprentissage en autonomie dans un Centre de Ressources en Langues (CRL), l'apprenant dispose d'un grand nombre de ressources de divers types dont il se sert pour acquérir telle ou telle compétence déterminée à l'avance avec l'aide des enseignants du CRL. Il est clair que la vidéo est une ressource incomparable pour l'acquisition de la compétence de compréhension de l'oral. Elle allie l'image et le son dans un médium avec lequel les apprenants sont familiarisés depuis l'enfance.

Pour l'enseignant chargé de mettre les ressources vidéo à la disposition des apprenants, il se pose cependant la question de la nature et de la forme de l'appareil pédagogique qui doit accompagner les séquences vidéos retenues comme support d'apprentissage. On se propose ici de faire état de la pratique dans les CRL de l'Université Louis Pasteur, mis en place et animés conjointement par l'Université et le Service Pédagogique Interuniversitaire de Ressources en Langues (SPIRAL) du Pôle universitaire européen de Strasbourg.

On peut distinguer deux types d'exploitations pédagogiques de la vidéo, l'une intensive, avec un appareil pédagogique lourd, l'autre extensive, avec un appareil pédagogique léger. Dans le premier cas, un dossier d'apprentissage consiste en une séquence vidéo d'une durée relativement courte, accompagnée d'exercices de divers types (compréhension globale et compréhension détaillée, étude de la langue, production écrite, etc.) et éventuellement d'un glossaire et/ou de la transcription de la séquence. Dans le second cas, un dossier d'apprentissage consiste en un film ou un documentaire en langue étrangère, sous-titré ou non, accompagné de conseils méthodologiques pour en tirer un profit d'apprentissage maximum. En guise d'illustration de ces deux méthodes, on donnera ci-dessous la description du système VIFAX allemand et de méthodes d'utilisation de films en V.O. On fera aussi état rapidement d'un projet de vidéo interactive en cours de réalisation à SPIRAL avec l'aide de deux étudiants stagiaires du Département d'Informatique de l'IUT Strasbourg-Sud, Université Robert Schuman.


1. Le système VIFAX

VIFAX est un acronyme de vidéo et fax. Le concept en a été défini à l'origine par Michel Perrin, de l'Université de Bordeaux II. Il s'agit de télécopier à des abonnés une exploitation pédagogique d'actualités enregistrées sur une chaîne de télévision en langue anglaise, soit CNN, soit SKYNEWS. Les abonnés sont le plus souvent des centres de langues universitaires ou des lycées. Deux informations sont sélectionnées par une équipe pédagogique, qui confectionne ensuite un dossier pédagogique pour chacune des informations. Chacun des deux dossiers consiste en trois pages : une page d'exercices, une page de corrigés, et une transcription de l'extrait. C'est l'abonné qui a la charge de l'enregistrement des actualités télévisées à une heure convenue. Le dossier pédagogique est envoyé quelques heures après l'enregistrement, quatre fois par semaine. Un abonné bien organisé peut donc proposer à ses apprenants une exploitation pédagogique de nouvelles datant du matin même. Mais il va de soi que les dossiers VIFAX peuvent être utilisés jusqu'à deux ou trois semaines, et même plus, après leur réception.

Depuis 1995, l'équipe de SPIRAL réalise deux fois par semaine un VIFAX allemand, à partir du magazine d'actualité Mittagsmagazin sur ZDF ou ARD, et une équipe de Bordeaux et Berne a entrepris de produire un VIFAX français langue étrangère. Les dossiers peuvent dorénavant être envoyés par courrier électronique, si l'abonné le souhaite. Ci-dessous, à titre d'illustration, un dossier VIFAX accompagnant des informations enregistrées le 26 février 1997 sur Mittagsmagazin.

VIFAX consiste donc en un appareil pédagogique assez important, qui demande un travail intensif d'une durée qui varie selon le niveau des apprenants. L'expérience montre que cette durée peut varier d'un quart d'heure pour les plus rapides à deux heures dans le cas d'une exploitation en classe. VIFAX permet un travail approfondi sur le contenu informatif de l'extrait et la langue utilisée, ainsi qu'une évaluation formative. Pour la plupart des apprenants, il s'agit d'un type de travail sécurisant, car familier, bien délimité, et qui donne un sentiment d'accomplissement. VIFAX rencontre d'ailleurs un grand succès dans les CRL où il est proposé. Un travail de vingt à trente minutes sur un sujet d'actualité connu est une façon agréable de commencer une séance d'autoformation en travaillant sa compréhension de l'oral et les quelques points de langue abordés. Les corrigés et le script permettent en outre une auto-évaluation immédiate de ses compétences.


2. Films et documentaires en V.O.

Cependant, le temps d'exposition à la langue est relativement court par rapport au temps total de travail. C'est pourquoi il est utile de compléter les méthodes intensives par des méthodes extensives, où le temps de travail consiste essentiellement en un visionnement de séquences vidéo d'une certaine longueur.

On peut distinguer plusieurs cas, selon que le document n'est pas sous-titré, sous-titré en langue étrangère, ou sous-titré en français. Dans chaque cas, la cassette vidéo est accompagnée d'une fiche de conseils méthodologiques. On conseille par exemple, dans le cas d'un film sous-titré, de visionner d'abord le document en entier sans l'interrompre, puis d'en choisir un extrait, de cacher les sous-titres et d'essayer de parvenir à une compréhension fine en recourant aux sous-titres si besoin est. On peut aussi proposer la démarche inverse : d'abord un travail détaillé, puis un visionnement global. Le dossier comprend aussi, dans certains cas, des documents écrits ou un glossaire. Un film de fiction peut par exemple être accompagné d'une notice sur le metteur en scène, les acteurs, l'importance du film, etc. Un documentaire peut être accompagné d'articles de journaux traitant du même sujet. Etc. Les possibilités sont nombreuses.

Ce qui caractérise cette approche par rapport à la précédente, c'est que l'accent est mis sur la familiarisation auditive avec la langue orale. L'objectif n'est pas de tout comprendre de manière détaillée, mais de s'exposer à la langue de manière active, avec la volonté de se servir du support pour l'apprendre. C'est d'ailleurs cela même que nous faisons dans un pays dont nous voulons apprendre la langue. La condition de la réussite de cette approche, c'est la qualité et l'intérêt du document. Il faut donc que le CRL propose un grand choix de documents de qualité professionnelle.

L'inconvénient de cette méthode est qu'elle peut générer une certaine frustration. En effet, dans le cas d'un document sans sous-titres, l'apprenant n'a aucun moyen de comprendre le texte autrement que par la réécoute, ce qui se révèle vite limité ; dans le cas d'un document sous-titré, il n'a, en cas d'incompréhension, qu'un choix binaire : ne pas comprendre, ou lire les sous-titres. Il peut donc difficilement construire sa compréhension du tout à partir d'une compréhension partielle, d'indices et d'hypothèses.


3. VIDEOWEB : la vidéo interactive

Il y a très certainement un moyen terme entre la séquence vidéo courte et fortement didactisée et la séquence longue peu didactisée. SPIRAL a lancé un projet en ce sens, provisoirement appelé VIDEOWEB, qui complète les deux méthodes précédentes. Un apprenant d'un niveau donné travaille nécessairement sur un document dont il n'a qu'une compréhension partielle : s'il ne comprend rien, il sera vite découragé ; inversement, s'il comprend tout, il ne peut pas réellement progresser. L'hypothèse de travail de VIDEOWEB est donc qu'un apprenant progresse en se servant du connu pour aller vers l'inconnu.

Sans entrer dans les détails du système, disons qu'une leçon VIDEOWEB consiste en une séquence vidéo numérisée de 5 à 10 minutes, choisie pour son intérêt général ou spécifique à un domaine. L'apprenant est invité à s'appuyer sur les passages bien compris pour faire des hypothèses sur les passages moins bien ou pas du tout compris. Les hypothèses peuvent être validées, ce qui permet de faire d'autres hypothèses, et ainsi de suite jusqu'à la compréhension fine et détaillée de l'ensemble. VIDEOWEB repose en fait sur une disposition mentale naturelle: vouloir comprendre un document auquel on reconnaît un certain intérêt. L'apprenant y parvient ici grâce à un ensemble interactif d'aides. Il est ainsi amené à la langue grâce au contenu même du document. L'espoir est que l'exposition active à la langue étrangère devienne une l'habitude, même hors du CRL.

Le système est en cours de programmation pour des PC Pentium en WINDOWS 95 ou 97. Des leçons d'anglais, d'allemand et de français langue étrangère seront ensuite produites par SPIRAL, et VIDEOWEB sera installé, si tout va bien, dans les différents CRL de l'université à partir de la rentrée 1997/98, et proposé aux étudiants. Il faudra ensuite procédér à une évaluation du système, et en vérifier l'ergonomie. Une originalité de VIDEOWEB est que les leçons sont conçues pour être téléchargées à partir du réseau OSIRIS, qui relie les universités strasbourgeoises. Il pourrait par la suite être étendu au réseau Internet tout entier. Nous décrirons le système plus à fond lorsqu'il aura dépassé le stade du prototype, et qu'il aura été mis à l'épreuve et évalué.


Les lecteurs intéressés par l'une ou l'autre des méthodes décrites ci-dessus peuvent contacter l'équipe de SPIRAL.


Pierre Frath


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