Les utilisations pédagogiques d’Internet : un état des lieux au-delà des frontières
Stéphanie Mathey



      Le colloque IN-TELE 98 sur les usages pédagogiques d’Internet et la construction de l’identité européenne s’est déroulé à Strasbourg les 24, 25 et 26 septembre 1998 avec la participation des Cahiers Pédagogiques. Les résumés des interventions figurent dans un ouvrage disponible en version électronique sur le site du colloque (http://in-tele.u-strasbg.fr).


      De l’introduction croissante des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) dans notre société, découle la question centrale de l’utilisation d’Internet dans le monde de l’éducation et de la formation. Lors du colloque IN-TELE 98 (INternet-based TEaching and LEarning), de nombreux chercheurs, enseignants et formateurs ont présenté des recherches scientifiques ou des expériences personnelles relatives à l’enseignement et à l’apprentissage via Internet. L'ambition du colloque consistait clairement à dépasser les traditionnels discours volontaristes en faveur des NTIC. Des études issues majoritairement de pays membres de la Communauté Européenne (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Hollande, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Suède...), mais aussi bien au-delà (Argentine, Bosnie, Brésil, Bulgarie, Canada, Etats-Unis, Israël, Norvège, Suisse...), nous ont permis de faire le point sur les utilisations pédagogiques d’Internet réalisées aujourd’hui dans différents domaines de l’éducation et de la formation.


Un outil pour la formation à distance

      C’est dans le domaine de la formation à distance que les avancées d’Internet sont les plus spectaculaires. Les enseignants et formateurs s’accordent à considérer que l’outil Internet permet une communication rapide, individualisée grâce au courrier électronique, et peu coûteuse par rapport aux possibilités offertes. Un autre avantage est celui de la communication internationale, au-delà des frontières. Cette caractéristique est particulièrement importante dans des programmes de formation linguistique et informatique, surtout lorsque les partenaires sont situés dans différents pays (James, Davies, Howells et Mills).


      L’utilisation intensive de la formation à distance avec Internet permet aussi d’apporter des solutions d’urgence pour contribuer à l’éducation. C’est le cas d’une expérience réalisée en Bosnie, pays ayant beaucoup souffert de l’isolement suite à le guerre et dont le manque d’enseignants et de moyens est important. Malgré quelques problèmes de rapidité, l’utilisation du courrier électronique et de la discussion en ligne (IRC) apporte globalement une solution satisfaisante en raison de son prix accessible (par rapport à celui de la téléconférence), de sa simplicité d’utilisation, et surtout de l’interactivité qu’elle permet (Blatnik, Spegel et Protic).


      La formation à distance utilisant Internet à domicile offre aussi une solution intéressante pour toucher un plus large public en éliminant ou réduisant les problèmes de déplacement quotidiens et de changement de mode de vie. L’expérience de formation à distance de techniciens en électricité et électronique par l’AFPA Longwy révèle que la durée de formation est plus courte et la dynamique de groupe plus grande qu’avec une formation traditionnelle (Desmoulins et Liberatore). Cette étude souligne néanmoins que le nécessaire passage à l’écrit est une difficulté.


      Par ailleurs, les problèmes les plus saillants relevés dans une recherche brésilienne sur l’éducation à distance concernent l’utilisation de la technologie, la prise en compte des différences culturelles, ainsi que la conduite des dialogues entre les enseignants et les apprenants (Cruz et Moraes).


      En ce qui concerne l’efficacité de la formation à distance utilisant diverses technologies interactives, une étude américaine sur une formation doctorale universitaire révèle que globalement la technologie n’est pas un facteur de réussite pour les étudiants (Huston). Les facteurs de réussite identifiés sont le soutien familial et financier, la motivation intrinsèque et l’interaction positive entre étudiants et enseignants. En affinant les données, l’importance du courrier électronique apparaît, suggérant que le développement de son utilisation pourrait contribuer à améliorer la formation.


Un outil pour l’éducation pour tous et tout au long de la vie

      A l’école, les exemples d’utilisations d’Internet se multiplient et se généralisent, en particulier en ce qui concerne la messagerie électronique (pour la correspondance scolaire dans des réseaux nationaux ou internationaux) et la recherche d’information sur les pages du World Wide Web. Les éducateurs Freinet apparaissent pionniers dans le domaine de l’intégration d’Internet à la pédagogie, de par la diversité des activités où Internet participe au développement de la communication et de la coopération entre les élèves. Ainsi, Internet est utilisé pour les créations libres, la correspondance scolaire, la connaissance des cultures, l’apprentissage des langues étrangères, les échanges coopératifs participant à la construction des savoirs, le partage des connaissances, l’éducation à la citoyenneté et les apprentissages fondamentaux (Lego et Monthubert).


      Au collège et au lycée, l’équipement gagne du terrain et l’utilisation d’Internet se met à dépasser le cadre des bureaux administratifs et des CDI. Les enseignants commencent à intégrer ce nouvel outil dans leur pratiques disciplinaires (voir par exemple Ettinger et RichetonE1 pour les mathématiques, Greff pour la langue anglaise). En parallèle, les sites web des établissements scolaires se multiplient. En revanche, l’intérêt pédagogique de ces sites est très inégal et ne semble souvent pas être la motivation première des établissements (Jaillet, Mathey et Hert).


      A l’université, les campus virtuels fleurissent. Ils permettent d’accéder à des informations pratiques et pédagogiques. Au delà d’une simple source documentaire, les enseignants sont de plus en plus nombreux à intégrer l’utilisation d’Internet dans leur enseignement : cours, exercices, examens et évaluation sur Internet. Les campus virtuels de Lille (Loonis et D’Halluin)E1, Genève (Peraya et Levrat)E2, et Wilmington aux USA (Dixon)E3 en sont des exemples. Nous assistons au développement d’une nouvelle tendance qui est de proposer une formation universitaire sur Internet complémentaire du cours présentiel. Ainsi, le site Linguistinet fournit un environnement d’apprentissage structuré pour les étudiants de DEUG, en complément d’un cours de linguistique (Chenu et Fressard ; Guinamard). En ce qui concerne l’évaluation pédagogique des activités liées à Internet à l’université, une étude allemande montre clairement que l’interaction et la coopération télématique nécessitent un appui institutionnel et une intégration didactique pour améliorer l’apprentissage (Friedrich, Hesse et Heins).


      Chez les publics adultes, la formation à distance via Internet est en plein essor, comme nous l’avons développé précédemment, car elle permet notamment de toucher un large public tout en offrant une formation personnalisée. Elle est particulièrement intéressante pour les publics handicapés qui souffrent de l’exclusion sociale. Cependant, fournir l’accès à une formation à distance à des publics handicapés n’est pas suffisant. Il est crucial de penser la formation et de l’adapter aux handicaps. Par exemple, chez les sourds il est nécessaire de prendre en compte les difficultés spécifiques de ce public face à la langue écrite (Tessier).


      Enfin, des expériences innovantes de formation au troisième âge mettent en relief l’importance d’Internet comme pratique sociale et culturelle (Biche et Site ; Stadellhofer). Là encore, les chercheurs insistent sur la nécessité d’adapter la formation aux caractéristiques des apprenants. Il s’agit ici principalement de facteurs psycho-gérontologiques relatifs à la diminution des craintes et à la gestion de la frustration.


La formation des enseignants

      La formation des enseignants à l’usage d’Internet s’avère nécessaire au niveau technique et pédagogique. Cette nécessité est aujourd’hui prise en compte dans divers programmes de recherche, comme le programme CEMAFOR (Communications Electroniques, Médiations dans l’Apprentissage et la FORmation)E4 mis en place par l’IUFM de Grenoble dans des écoles, collèges et lycées (Campanale), le programme IN-TELE (enseignement et apprentissage basés sur Internet)E5 mis en place dans des collèges et lycées européens (Vickers et Glasfurd)E6, ou encore le programme IMPEL (influence de la bibliothèque électronique) réalisé dans des universités anglaises (Cade). Les résultats convergent pour confirmer la nécessité de diversifier les approches de formation en fonction des besoins des enseignants et des élèves. Au niveau pédagogique, les nouvelles pratiques font naître de nouveaux concepts, comme celui d’accès illimité à l’information, accompagnés de nouveaux défis, comme la difficulté des élèves à sélectionner l’information pertinente et l’augmentation du risque de plagiat. Au niveau technologique, le besoin de simplification et d’adaptation des outils à l’enseignement est manifeste.


Outils et ressources pédagogiques sur Internet

      Afin de répondre aux besoins des pédagogues, il est nécessaire de s’orienter vers des outils spécialisés adaptés aux utilisations pédagogiques d’Internet. En effet, les moteurs de recherche et les annuaires thématiques habituels ne fournissent généralement pas des résultats satisfaisants dans ce cadre de travail (Arnaud ; Lenne). De nombreuses recherches s’orientent aujourd’hui dans ce sens. Par exemple, l’Académie de Strasbourg a développé un ensemble d’outils logiciels et de services facilitant l’usage de réseaux locaux pédagogiques avec une administration minimale (Ourliac et Buttani ; Langer)E1. En Allemagne, la vocation de ZUM (centrale pour l’enseignement médiatisé par Internet) est d’assister les enseignants à « structurer le chaos » (Fishbach, Meyer-Bothling et Binder)E2. L’IUFM de Paris travaille à la réalisation d’un environnement didactique transversal (Jablonka). Le nombre de sites Internet d’intérêt pédagogique est croissant. Ainsi, le site « la main à la pâte » permet d’accompagner l’enseignement des sciences à l’école primaire (Catala, Jasmin et Salviat). Une base de données d’évaluation des sites Internet d’intérêt pédagogique est mise en ligne par le CRDP de Bretagne à l’usage des enseignants disciplinaires de l’enseignement secondaire (Igot)E3.


Un outil à double tranchant

      Théoriquement, Internet est un outil idéal pour contribuer à l’éducation de chacun tout au long de la vie. De plus diverses recherches montrent qu’il contribue à la construction de l’identité européenne (Gross et al. ; Hudson et al. ; Weber). Cependant, tout comme l’accès à Internet peut être un facteur d’intégration sociale au niveau national et international, l’absence d’accès à Internet peut contribuer à l’exclusion. Il est important de prendre en compte dès aujourd’hui cette contrainte matérielle. D’après Pouzard, « Le rôle de l’école pour équilibrer l’égalité des chances devant ce nouveau type de rapports entre les individus au niveau planétaire est capital ».


Un outil au service de pratiques nouvelles

      Pour conclure, les exemples d’utilisations d’Internet dans l’enseignement et l’apprentissage présentés lors du colloque IN-TELE illustrent l’avènement et le développement de nouvelles pratiques pédagogiques. Les avantages de ces pratiques sont nombreux, en particulier dans le cadre de l’enseignement à distance. Mais avec l’utilisation d’un nouvel outil, le problème de la maîtrise de cet outil se pose et souligne la nécessité d’une formation spécifique des enseignants. En parallèle, de nouveaux défis pédagogiques émergent, notamment celui de la gestion de l’accès illimité à l’information. Les problèmes liés aux utilisations pédagogiques d’Internet ravivent également le besoin d’adapter les pratiques pédagogiques aux spécificités de chaque public. Il s’agit là d’une idée bien ancienne. Cependant, ce nouvel éclairage apporté par l’introduction d’Internet peut contribuer au renouvellement des pratiques.


Références

      Les auteurs cités, ainsi que de nombreux autres, ont participé au colloque IN-TELE 98. Les résumés des interventions, accompagnés des adresses électroniques des auteurs, sont réunis dans un ouvrage dont la version électronique est disponible sur le site du colloque IN-TELE. La publication des actes du colloque aura lieu au début de l’année 1999. http://in-tele.u-strasbg.fr/


            Stéphanie Mathey
            Laboratoire des Sciences de l’Education, Université Louis Pasteur, Strasbourg
            Stephanie.Mathey@lse-ulp.u-strasbg.fr


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