L´image de l´Allemagne dans les manuels scolaires français et les manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère parus depuis la Réunification
Françoise Laspeyres


Je viens de terminer un travail de recherche intitulé "Enseignement/apprentissage de la civilisation. L´image de l´Allemagne dans les manuels scolaires français et les manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère parus depuis la Réunification: contenus et démarches". Le libellé compact du sujet ne doit pas terroriser, pour autant, le lecteur non averti.

 

      Je me suis tout simplement attachée à analyser 27 manuels français d´allemand et 14 manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère parus entre juin 91 et 98 - donc, suite à la Réunification - et destinés à des adolescents de 11 à 19 ans. J´ai limité mon analyse à des collections complètes, j´entends par là , côté français des collections englobant tout le Premier Cycle ou tout le Second Cycle et côté allemand les collections préparant au Zertifikat Deutsch als Fremdsprache. Je me suis contentée d´analyser les seuls manuels scolaires et guides pédagogiques. Je n´ai donc pas tenu compte des nombreux documents annexes qui accompagnent de plus en plus souvent les manuels proprement dits (cassettes, transparents, cahier d´exercices...).Mon étude porte exclusivement sur le volet civilisationnel des manuels et mes jugements ne concernent donc que cet aspect-là des manuels étudiés.

      Je me suis intéressée à la fois à l´analyse des contenus civilisationnels transmis par le biais de ces manuels et à l´analyse des démarches didactiques mises en oeuvre par les auteurs pour en favoriser l´appropriation par les élèves. Mon objectif était double. Je voulais dégager deux images, celle que les auteurs de manuels allemands s´attachent à diffuser à destination de tous les candidats à l´apprentissage de leur langue et celle que les auteurs français donnent de l´Allemagne au travers des manuels utilisés en milieu scolaire. La comparaison des résultats devait laisser apparaître des convergences mais aussi des divergences. Ce sont justement ces divergences qui dénoteraient l´impact du filtrage qu´opère la culture d´origine sur l´appréhension d´un pays et d´une culture et qui refléteraient en ombre chinoise les identités respectives de la France et de l´Allemagne. Je tenais également à présenter les démarches mises en ouvre par les auteurs français et allemands pour aider à l´acquisition de connaissances culturelles, à la mise en place de savoir-faire et à l´élaboration modeste d´un savoir-être.

      Il s´agit d´un travail de nature essentiellement empirique, né de la pratique et destiné à la pratique. Il peut donc intéresser tous les enseignants engagés sur le terrain, les jeunes stagiaires IUFM et tous ceux qui ont à cœur de contribuer à une meilleure compréhension mutuelle de la France et de l´Allemagne.

      Le sujet suscite une interrogation majeure. Il est certain que le fait d´avoir choisi de comparer les manuels scolaires français d´allemand à des manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère facilitait la comparaison des contenus civilisationnels.

      Par contre, l´analyse comparative des démarches mises en oeuvre dans les manuels nécessitait la prise en compte de la spécificité de chaque contexte d´enseignement. Les manuels français d´allemand sont utilisés exclusivement en milieu scolaire et sont donc soumis à des contraintes administratives, institutionnelles et hiérarchiques indéniables, à une évaluation en fin de cursus scolaire qui détermine largement l´enseignement surtout dans les classes de Première et Terminale. Le désir d´apprendre les langues est, en milieu scolaire très relatif et fragile, faute de besoin immédiat et circonscrit. Les manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère s´adressent, pour leur part, à des publics très divers dans des situations d´apprentissage plus diverses encore. Il s´agit d´enfants et d´adolescents domiciliés en Allemagne ou à l´étranger, en situation d´immersion linguistique ou pas, inscrits à des cours assurés par diverses institutions ou scolarisés dans des établissements scolaires. Pour aussi hétérogènes que soient ces apprenants, ils sont dans leur très grande majorité fort motivés, conscients de l´utilité de la maîtrise de la langue allemande pour leur intégration sociale et leur parcours professionnel.

      Pourquoi avoir choisi, malgré tout, d´analyser des manuels utilisés dans des contextes d´enseignement si différents? En dépit de ces contraintes, il me semblait intéressant d´analyser d´autre facteurs qui expliquent que les manuels français en termes de démarches didactiques soient fondamentalement différents des manuels d´enseignement de l´allemand langue étrangère. Les traditions éducatives, la formation initiale des enseignants, leurs matrices comportementales, l´impact - réel ou supposé- des Programmes officiels, la place de la didactique dans la recherche universitaire, les attentes de la communauté éducative et parentale ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. Ils génèrent automatiquement des approches didactiques divergentes. L´exploration de ces divergences peut encourager plus d´un germaniste français à voir ce qui se fait du côté de la didactique de l´allemand langue étrangère en suivant, par exemple, des stages de formation proposés par les Instituts Goethe. Il va de soi qu´il ne pourra pas reprendre textuellement ce qui se fait dans le cadre de l´enseignement de l´allemand langue étrangère. Il pourra toutefois en extraire des éléments susceptibles d´être transférés avec bonheur et efficacité dans le contexte institutionnel français. Je ne cache, donc, pas que mon travail de recherche était sous-tendu par une attitude militante en faveur d´une ouverture à d´autres façons d´enseigner. Au lecteur de juger! J´ai fourni en annexe de nombreux extraits de manuels qui ont fait l´objet d´une analyse didactique fouillée. Ce parti pris délibéré de fournir les extraits de manuels s´explique par mon souci de faire, avant tout, de ce travail de recherche un instrument de formation continue destiné à tous les collègues intéressés.

 

Quelles conclusions ai-je pu tirer de cette analyse détaillée de manuels français et allemands?

      L´organisation des manuels et en particulier l´observation des sommaires dénotent le peu d´intérêt qu´accordent les auteurs de manuels français à l´exploration et l´exploitation du volet civilisationnel de l´apprentissage de la langue. Dans le Premier Cycle, les contenus civilisationnels sont, au mieux, regroupés sous la rubrique "Thèmes" et au pire, passés sous silence. Dans le Second Cycle, une seule collection mentionne explicitement les éléments civilisationnels qu´elle compte explorer. Trois collections allemandes sur cinq mentionnent dans leurs sommaires très précisément les éléments culturels qui donneront lieu à une exploitation au cours des chapitres.

 

      Les préfaces aux guides pédagogiques et aux manuels français se contentent, toutes, de propos convenus et incantatoires qui ne témoignent d´aucune réflexion didactique approfondie, d´une méconnaissance du champ de recherche propre à l´enseignement de la civilisation et d´un manque d´intérêt pour ce volet de l´enseignement. Les trois collections allemandes qui ont mentionné les éléments culturels dans les rubriques constitutives de leur sommaire proposent une présentation cohérente, pertinente, détaillée, raisonnée et finalisée de leurs objectifs et de leurs options méthodologiques en matière d´enseignement de la civilisation.

 

Les guides pédagogiques français se contentent au mieux de fournir aux enseignants des informations complémentaires -souvent fort détaillées et savantes - sur le point civilisationnel traité au cours de la leçon. Les savoirs proposés relèvent plus d´un souci d´accumulation de connaissances que d´un souci d´expliquer le pourquoi de la spécificité du phénomène culturel en question. Il est rarissime de lire une didactisation précise, construite et finalisés des documents illustrant un phénomène culturel précis. Tous les guides pédagogiques allemands intègrent dans la didactisation des documents proposés - de façon plus ou moins étoffée - la trame civilisationnelle pour laquelle ils suggèrent des pistes d´exploitation variées et fournissent des compléments d´informations et d´explications.

 

Les collections allemandes respectent scrupuleusement tant les textes institutionnels qui énumèrent les thèmes à traiter en vue d´une préparation au Zertifikat Deutsch als Fremdsprache que les thèses à caractère plus scientifique qui fixent les grandes orientations méthodologiques qui devraient sous-tendre toute collection. Les auteurs de manuels français ne respectent qu´exceptionnellement les recommandations, pourtant fort peu contraignantes des Programmes officiels. En pratiquant dans leur majorité la politique de l´encart civilisationnel - qui plus est, pour certains, rédigés en français - les auteurs sont en contradiction patente avec le principe d´imbrication de l´apprentissage linguistique et culturel dicté par les Textes officiels.

 

Les collections françaises de manuels du Premier Cycle reflètent l´évolution de l´enseignement de la méthode audiovisuelle à l´approche notionnelle-fonctionnelle. Une collection relève encore très largement d´une approche audiovisuelle, deux se situent à la charnière des deux démarches tandis qu´une seule met résolument en oeuvre l´approche communicative. Pas une seule ne développe une réflexion de type interculturel. Les collections du Second Cycle adoptent presque toutes dès la classe de Première un mode de questionnement de textes qui n´est pas sans rappeler les démarches en vigueur dans les années 70, démarches induites vraisemblablement par la nécessité de préparer les élèves aux épreuves spécifiques du baccalauréat.

 

Toutes les collections allemandes souscrivent à l´approche communicative, qui s´enrichit, pour certaines, d´une approche interculturelle. Il semblerait donc que les avancées de la recherche se concrétisent beaucoup plus rapidement dans les manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère que dans les manuels scolaires français.

 

En termes de contenus, j´ai relevé 15 thèmes communs à au moins deux collections du Premier Cycle. Il s´agit de la présentation de sites géographiques, de l´exploration de l´environnement scolaire, de la formation professionnelle, des habitudes alimentaires, des loisirs, de la découverte du patrimoine littéraire, musical et artistique, du rappel de l´histoire allemande de 14 à 45 et du processus de réunification et enfin de l´exploitation de sujets de société tels que les médias, la protection de l´environnement et l´immigration. Dans le Second Cycle, l´éventail est plus large puisque 24 thèmes sont communs à deux collections minimum. Nous y retrouvons les mêmes thèmes que ceux déjà traités dans le Premier Cycle: l´environnement scolaire, les médias, l´immigration, l´histoire de 14 à 45, la division et la réunification de l´Allemagne, le patrimoine musical et artistique. L´éventail s´élargit à la découverte de la sphère professionnelle, des institutions politiques, de l´urbanisme, de la construction européenne, des nouvelles techniques de communication, à l´exploitation de sujets tels que les personnes âgées, la famille, l´enfance, les vacances et les voyages, l´engagement associatif et politique et les préjugés.

 

Côté allemand, j´ai recensé 25 thèmes traités également dans au moins deux collections sur cinq. Les divergences sont sensibles. Tout d´abord, les thèmes communs: la protection de l´environnement, l´univers scolaire, la formation professionnelle, l´immigration, la famille, les médias, les institutions politiques, les personnes âgées, l´engagement associatif, politique et écologique, la réunification, le patrimoine littéraire, les habitudes alimentaires, les voyages et les vacances et les préjugés.

 

Les différences se situent dans la thématisation de sujets qui n´apparaissent pas ou très peu dans les manuels français. Il s´agit, en premier lieu, des sujets relatifs aux multiples codes de sociabilité, aux rites de politesse, à la gestualité, à la symbolique des couleurs, aux conventions épistolaires, en second lieu, des sujets afférents aux variétés nationales et régionales de la langue allemande, à la santé, au corps et aux maladies, aux confessions religieuses.

 

Dans un second temps, j´ai constaté dans les manuels allemands l´absence de quatre thèmes largement repris dans les manuels français. Il s´agit des thèmes relatifs à la géographie allemande, au sens touristique du terme, au rôle funeste joué par l´Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, au patrimoine artistique allemand et à la construction européenne.

 

Au-delà des sujets abordés dans tel pays et occultés dans l´autre, il est intéressant de noter les divergences dans l´agencement des aspects afférents aux thèmes généraux. Ainsi le thème relatif à l´immigration est traité régulièrement tant dans les manuels scolaires français que dans les manuels allemands mais le traitement en est sensiblement différent. Les auteurs français ont tendance à mettre en avant les difficultés rencontrées par les populations immigrées, essentiellement turques, pour s´intégrer dans la société allemande. Les auteurs allemands n´occultent pas cet aspect mais mettent l´accent sur les apports de la population immigrée à l´essor économique allemand, à l´offre élargie de restaurants, à l´enrichissement que peut constituer une double culture ou articulent ce thème sur celui des préjugés réciproques. Le thème relatif à la protection de l´environnement est envisagé dans les manuels allemands dans sa dimension pragmatique tandis que les manuels français auraient plutôt tendance à passer en revue les différentes sources de pollution, les éventuelles mesures à prendre pour y pallier mais la réflexion reste générale et passablement théorique et n´engage guère à l´initiative personnelle et concrète.

 

La progression thématique m´a paru présenter de part et d´autre du Rhin des lacunes qui reflètent l´extrême difficulté, voire peut-être l´impossibilité qu´il y a à proposer un programme culturel qui éviterait les pièges de la répétition lassante tout en contribuant à un élargissement progressif des connaissances et une maîtrise de plus en plus sûre des savoir-faire fortement connotés culturellement. Vu l´ampleur du champ d´investigation culturelle, les auteurs sont souvent contraints à faire le grand écart entre des positions contradictoires et à opter pour une progression linéaire qui permet de thématiser un nombre assez élevé de thèmes mais génère souvent un saupoudrage inefficace au détriment d´une reprise spiralique, qui garantit certes un approfondissement réel d´un nombre limité de sujets mais recèle le risque de la répétition lassante.

 

Les manuels allemands d´enseignement de l´allemand langue étrangère adoptent dans leur très grande majorité un mode de présentation implicite de la réalité culturelle allemande tandis que les auteurs français privilégient un mode de présentation explicite de savoirs regroupés dans le cadre d´encarts cvilisationnels le plus souvent déconnectés de la progression thématique et linguistique des leçons du manuel.

 

Le texte ou le dialogue de base reste le support privilégié des leçons de manuels français tandis que les leçons de manuels allemands sont constituées de plusieurs brefs documents qui n´obéissent pas à la hiérarchie "Document de base/document satellite ou complémentaire". Les rédacteurs des ouvrages allemands ont recours en priorité aux petits textes informatifs pour illustrer un phénomène culturel, tandis que les auteurs français font plus souvent usage de textes d´auteur. Les témoignages constituent dans les manuels allemands le second type de support écrit auxquels les auteurs ont fréquemment recours. Dans les manuels français, les clichés photographiques sont très largement prédominants, tandis que les Allemands donnent leur préférence aux collages ou assemblages de clichés de petit format. Mais ce qui constitue la différence fondamentale entre les supports iconographiques auxquels ont respectivement recours les auteurs français et allemands, c´est l´appareil didactique qui les accompagnent. Il n´est pas rare de trouver dans les manuels français des encarts entiers constitués exclusivement de photos accompagnées au mieux de légendes. Les auteurs allemands élaborent systématiquement pour chaque document visuel une ou plusieurs activités d´ordre strictement linguistique. Ces activités peuvent également associer la prise en compte de l´élément culturel et contribuer à aiguiser la capacité d´observation, de repérage de faits culturels particuliers puis déboucher sur une réflexion d´ordre culturel. Les rares activités linguistiques proposées par les auteurs français à partir de documents riches en implicite culturel invitent prioritairement les élèves à procéder à une description du dit document en réutilisant des notions spécifiques - qui n´ont d´ailleurs pas toujours donné lieu à un entraînement ciblé et progressif - , à répondre à des questions ou à emmagasiner des connaissances transmises par l´enseignant sur le mode magistral. Rarissimes sont les activités qui suscitent la recherche active des élèves, qui aiguisent leur curiosité et concilient l´apport culturel et la maîtrise de savoir-faire linguistiques. Les activités visant à une réflexion d´ordre essentiellement culturel sont tout simplement inexistantes.

 

Au vu de ces conclusions comparatives, il me faut constater que les manuels français d´allemand me semblent être encore le reflet d´une pédagogie qui, dans l´enseignement secondaire, en particulier, continue à mettre l´accent sur le savoir constitué plus que sur la recherche du savoir, qui développe en priorité une attitude de réception au détriment d´une attitude de création et d´interrogation et qui favorise une relation individualisante au savoir, l´élève n´ayant à faire qu´au maître et au savoir lui-même. Les manuels d´enseignement de l´allemand langue étrangère me semblent illustrer une conception bien différente de l´enseignement qui vise avant tout une appropriation de savoir-faire, l´élaboration progressive d´un savoir-être et suscite, pour ce faire, une attitude de recherche et de participation active dans le cadre de situations d´apprentissage variées.

 

En termes de contenus, les thèmes communs traités dans les manuels français et allemands sont nombreux. Au-delà de ces similitudes, les divergences constatées reflètent l´identité nationale de chaque pays. Tandis que les équipes de rédaction allemandes mettent l´accent sur la diversité régionale et linguistique de leur pays, souhaitent ne plus faire de la thématisation du national-socialisme le passage obligé de tout apprentissage de la langue allemand, évitent de thématiser les difficultés liées à la réunification et continuent à focaliser leur attention sur l´ex-Allemagne de l´Ouest, les auteurs français m´ont semblé appliquer inconsciemment des matrices comportementales hexagonales à la description de la réalité culturelle allemande. C´est ainsi qu´ils éludent les questions relatives au code de la nationalité, aux variétés régionales de la langue allemande, aux conséquences induites par le fédéralisme, aux appartenances confessionnelles et qu´ils éprouvent des réticences à exploiter toute la dimension communicationnelle de la langue.

 

Les manuels allemands m´ont semblé fourmiller d´une foule d´éléments qui, ajoutés les uns aux autres au fil des documents et activités, tissent une trame civilisationnelle d´une extrême densité tandis que les manuels français m´ont paru offrir un canevas beaucoup plus lâche et terne de la réalité allemande Au-delà de cette épaisseur culturelle propre aux manuels d´enseignement de l´allemand langue étrangère et de ce manque de relief et de saveur propre aux manuels français, il m´a semblé que les rédacteurs allemands avaient à cœur, dans leur majorité de diffuser une image intime, quotidienne, tonique, vigoureuse, chaleureuse, sereine et confiante de leur pays, tandis que les auteurs français, transformaient, dans le Premier Cycle la découverte de l´Allemagne en un circuit touristique et véhiculaient dans le Second Cycle une image relativement austère, monolithique et distante du pays.

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