La vidéo en classe de langue,
un révélateur des modèles et des matrices didactiques

Alain Verreman


Voici en quelques lignes un résumé, forcément elliptique, de la thèse soutenue le 4-11-1999 devant Christian Puren (Paris), Jean-Louis Martinand (ENS Cachan) et Maurice Sachot, directeur de l'UFR Philosophie-Linguistique-Sciences de l'Education à l'Université Marc Bloch. Le titre en est : " La vidéo en classe de langue, un révélateur des modèles et des matrices didactiques ".

 

La définition des particularités de l'enseignement de l'allemand au lycée avec le support vidéo repose la question des conditions idéologiques dans lesquelles se déroule cet enseignement. Il est en effet soumis aux règles imposées par la discipline. Instituée non par un Etat, un gouvernement ou un groupe social, mais par la République, comprise comme l'ensemble des citoyens, la discipline vise à la formation des jeunes pour qu'ils deviennent des adultes libres et responsables. Les langues vivantes sont l'un des moyens de cette formation générale, les supports - textes ou vidéo - sont quelques-uns des adjuvants de la formation à la langue. C'est le premier aspect du problème posé par la vidéo.

 

Le second aspect concerne sa justification dans un dispositif didactique de formation à la langue étrangère, quant à la préparation des élèves au travail avec ce média, quant à la formation des enseignants et quant à l'existence du média dans les établissements scolaires. Nous avons constaté que les partenaires du système éducatif intègrent peu à peu l'image télévisée à leur culture alors que la télévision est longtemps restée étrangère à la formation des lycéens. C'est que l'image vidéo demande une maîtrise différente de celle du texte. Et en langues, elle introduit en classe non seulement la langue étrangère, mais le monde dans toute sa complexité. Alors que les élèves sont baignés dans cette culture audiovisuelle, les enseignants, qui n'ont connu souvent que le texte dans leur formation, peuvent légitimement se trouver désemparés et se demander si le support vidéo convient réellement à l'enseignement des langues et à quel titre.

 

C'est dans cette configuration (de discipline et de didactique) qu'il faut analyser sa pertinence. Il se trouve, et c'est une chance qui était offerte, que l'usage de la vidéo en classe de langue a suscité l'élaboration d'ouvrages didactiques spécifiques : les LIVRETS PEDAGOGIQUES : Cela constituait un terrain, non d'expérimentation, mais d'observation et d'analyse.

 

Les livrets ont un double avantage : ils sont tous dans le cadre scolaire et, plus précisément, disciplinaire. Le second avantage est qu'ils sont assez nombreux - il y en a quinze - pour former un corpus suffisamment riche et varié pour permettre la comparaison et la confrontation entre plusieurs expériences, car ces livrets ont donné lieu, dans chacun des groupes de rédaction, à un long travail de gestation et d'expérimentations, dans des centaines de classes. En s'appuyant sur les principes de la multiréférence didactique, il a été possible de développer des grilles d'analyse des livrets pédagogiques vidéo. Ce travail donne une vue d'ensemble différenciée des grands documents pédagogiques vidéo dont disposent les enseignants d'allemand au lycée. Il a permis de bien situer chaque livret dans l'ensemble des ouvrages et parmi tous les moyens didactiques existants (manuels et méthodes diverses).

 

Les conceptions didactiques des auteurs, leurs principales références méthodologiques et leurs intentions formatrices sont apparues au fil des analyses des préfaces et des contenus. Les utilisateurs comprendront mieux désormais le sens des activités proposées dans les livrets, en percevant leurs références méthodologiques et les cohérences des modèles auxquels elles se réfèrent. S'ils décèlent une incohérence accidentelle, ils sauront à quoi l'imputer et seront en mesure d'y remédier.

 

L'analyse des livrets a révélé que plusieurs auteurs conçoivent leur enseignement dans l'esprit de la multiréférence didactique . Ils se réfèrent à plusieurs modèles didactiques et ont retenu des objets méthodologiques qui ont leur cohérence soit dans la pédagogie de groupe, soit dans la linguistique (par exemple, faire percevoir certaines règles transformationnelles du passif) ou dans la psychologie de l'apprentissage (pour le repérage de situations, de termes ou pour leur ancrage mémoriel), etc. Mais l'analyse des livrets pédagogiques vidéo a révélé aussi des modèles surprenants comme ceux qui suggèrent d'ignorer l'image, ou d'autres, bien plus intéressants, qui proposent par des techniques didactiques simples et motivantes, de parvenir rapidement à une compréhension en profondeur des documents.

 

· Les modèles didactiques

 

Les modèles didactiques que nous avons mis à jour à partir de l'analyse des livrets ne présagent pas des cours qui seront faits à partir des livrets ou des modèles. Ce sont des formalisations et des intentions didactiques : ils montrent l'orientation du travail et les moyens auxquels on peut avoir recours si l'on reste dans une certaine logique. On peut, au nom d'une logique supérieure, avoir recours à plusieurs modèles. C'est même souhaitable dans le contexte de la multiréférence didactique. Effectuer toute une année scolaire en prenant un modèle qui serait l'unique référence didactique, ce serait contraire aux exigences de la discipline scolaire, alors que cela pourrait convenir dans une formation professionnelle déterminée.

 

Les modèles à l'œuvre dans les livrets se focalisent autour de leur dominante qui peut être :

- Une dominante culturelle et civilisationnelle, qui donne la préférence à l'identification et à la compréhension des éléments culturels et civilisationnels

- Une dominante artistique, en l'occurrence c'est l'étude filmique qui dominera et donnera lieu à des activités en allemand qui viseront la découverte d'une œuvre du septième art. Ce modèle peut prendre deux formes distinctes : ou bien il y a une focalisation sur les aspects artistiques, ou bien les activités sont orientées vers la formation cinématographique. Alors que le premier de ces deux modèles peut se retrouver en cycle terminal de lycée, le second est pratiqué dans la formation pour adultes et dans les sections de lycée à option cinéma.

- D'autres livrets considèrent le film ou le document vidéo pour leur apport linguistique, le film est considéré comme une analogie de la réalité et donne lieu à une étude globale, très proche de la méthodologie dite du Texte de Base,

- Quelques livrets se focalisent sur un modèle de type psychopédagogique en ce sens où les travaux ne visent pas la découverte du document, mais la mise en activité langagière des élèves - de manière différenciée le plus souvent. Ce modèle semble s'appuyer sur les principes des méthodes audiovisuelles, car le document filmique est retenu essentiellement pour la redondance des paroles et des images. A vrai dire, aucun livret ne présente ce modèle avec conséquence.

 

· Les matrices didactiques

 

L'enseignement des langues au lycée nécessite l'emploi de structures, les matrices didactiques, qui sont d'ordre disciplinaire et permettent la génération de séquences didactiques, c'est-à-dire d'ensembles de cours. Ces matrices didactiques entrent dans le cadre de la discipline (avec ses finalités de formation et sa logique procédurale), s'appuient sur des modèles didactiques qui lui fournissent des objets méthodologiques confirmés et fonctionnent en complémentarité - multiréférence didactique oblige - sur l'espace d'une année scolaire, voire davantage.

 

Les matrices didactiques laissent des espaces de liberté pratique, dans un cadre de principes didactiques et disciplinaires. L'enseignant pourra improviser en fonction de réactions d'élèves, ou d'initiatives de leur part, en recourant provisoirement à un modèle (ou à un objet méthodologique) inattendu, - pour relancer la motivation par exemple, ou pour surmonter une difficulté passagère d'un groupe d'élèves - et reviendra plus tard sur ce qui était prévu.

 

Alors que certaines matrices sont très proches des modèles, d'autres ne pourront reprendre que certains éléments de modèles quand ceux-ci contredisent les principes de la discipline, comme c'est le cas avec les modèles élitistes du " texte de base " ou des méthodes audiovisuelles de la première génération qui interdisaient tout écrit et toute traduction et pénalisaient certains élèves qui avaient besoin de s'appuyer sur la langue maternelle et/ou sur l'écrit.

 

Ainsi la distinction que nous proposons de faire entre les modèles didactiques et les matrices didactiques, entre les matrices et les séquences didactiques qu'elles génèrent, garantissent deux espaces de liberté : la liberté du professeur qui peut choisir différents modèles - ou des objets méthodologiques de différents modèles - et la liberté vis-à-vis de la matière enseignée (et des savoirs savants de référence) qui est soumise à la discipline et ne peut donc s'arroger le droit de définir les matrices didactiques. Cette distinction se retrouve probablement dans toutes les disciplines et donne à la didactique scolaire un champ d'action autonome, c'est-à-dire sans dépendance directe des sciences universitaires de référence.

 

Les travaux de recherche seront poursuivis, en particulier en direction des modèles d'enseignement aidé par le multimédia et par l'Internet, d'une part, et dans le sens d'une modélisation des passages des modèles didactiques aux matrices didactiques dans le cadre des disciplines de lycée.

 

Suggestion de lecture :

Christian Puren et al. : Se former en didactique des langues. Ellipses 1998. (115, F)

 

Alain Verreman, Lycée Kléber, Strasbourg


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