Le jeu dans l'apprentissage d'une langue vivante.
Application à l'espagnol



Les enfants semblent apprendre à parler sans effort. Ce qui est pour nous une activité ardue est pour eux un jeu. En effet, l'activité principale des enfants est le jeu et en jouant, ils apprennent à parler. Y a-t-il un lien entre le jeu et l'apprentissage de la langue ? Le jeu est-il éducatif ? Et s'il l'est pourquoi ?

      D'après Caillois, le jeu est une activité libre, réglée ou fictive, séparée dans l'espace et dans le temps de la vie quotidienne. Elle est aussi incertaine dans son déroulement, même si elle est soumise à des règles, et improductive, même quand elle implique un déplacement de propriété à l'intérieur du cercle des joueurs. Cette activité complexe où se mêlent plusieurs oppositions : réglée et libre, sérieuse et amusante, fictive et réelle, improductive et créative, séparée de la vie quotidienne et pourtant proche de la vie en société.

      L'étude de différentes analyses (psychologiques, sociologiques et pédagogiques) nous a permis d'établir une classification des jeux. Celle-ci se compose de cinq types de jeux : les jeux de représentation, de compétition, de hasard, de vertige et ceux qui prennent le langage pour matière.

      A priori le jeu semble favoriser l'apprentissage de la langue mais aussi de la vie. Il permet de développer différents types d'intelligences et il prépare l'enfant à la vie en lui faisant expérimenter ses multiples facettes. Cependant la construction des jeux semble spécialement utile dans l'apprentissage d'une langue étrangère.

      Afin de déterminer si ces quelques hypothèses sont justifiées, une expérimentation est nécessaire. Nous avons fait jouer des élèves de trois niveaux différents à deux ou trois types de jeux selon le schéma suivant :

Classe
Jeu de type 1 (Compétition)
Jeu de type 2 (Hasard)
Jeu de type 3 (Théâtre)
CE2
: ) Jeu de Kim
: ) Jeu du nombre mystère
.
4ème
: | Erase una vez
: ( Jeu de l'énigme
.
1ère
: ) Erase una vez
: ) Jeu de l'énigme
: ) Jeu de semi-improvisation

      En isolant ainsi chaque type de jeu, il nous a été possible de voir quel type de jeu motive le plus tel type d'apprenant. Cette expérimentation nous a permis de mettre en valeur l'intérêt pédagogique de chaque type de jeu.

      Ainsi, le jeu de compétition (Erase una vez) permet de développer l'aisance à l'oral, l'imagination et d'utiliser certaines structures linguistiques en s'amusant. Le principe de ce jeu est de créer une histoire en commun. Tous les joueurs découvrent ensemble, au début du jeu, la fin de l'histoire qui leur est imposée. Des cartes sont distribuées au début du jeu. Sur chaque carte, il y a un mot et un dessin qui l'illustre. Chaque joueur raconte un bout de l'histoire lorsque la parole lui revient (en fonction de règles précises). Il doit imaginer l'histoire et jalonner son récit en utilisant les mots portés sur les cartes qu'il a reçues. Le gagnant est celui qui réussi à introduire, inventer et raconter la fin prévue.

Les règles sont les suivantes :

      - Chaque joueur a six cartes.

      - Le premier conteur est tiré au sort.

      - Pour pouvoir poser une carte, le conteur doit dire au moins trois phrases (modulable en fonction du niveau des élèves) qui justifient l'emploi du mot de la carte.

      - Lorsqu'un conteur n'a plus d'idées, il passe la parole à son voisin et a une pénalité.

      - Il est possible de prendre la parole au conteur dans les deux cas suivants :

      - lorsque le conteur mentionne dans son histoire un élément dont la carte est dans la main d'un autre joueur (il peut s'agir d'une carte normale ou d'une carte d'interruption).

      - lorsqu'un joueur dispose d'une carte d'interruption de la même famille que celle que le conteur vient de jouer (avec l'obligation de la poser si on en possède une).

Les pénalités sont les suivantes :

      - Lorsque le conteur se fait interrompre, il doit piocher une carte.

      - Lorsque le conteur "sèche", il doit laisser une de ses cartes et en piocher une autre.

      - Lorsque le conteur parle, personne ne doit l'interrompre, (réflexion ou incitation) sous peine de piocher une nouvelle carte.

      - Si le conteur raconte une histoire incohérente, il pioche une carte.

      - Si l'élève parle en français, il pioche une nouvelle carte (sauf si c'est pour demander un mot de vocabulaire).

      - Si le conteur pose sa dernière carte et que celle-ci ne correspond pas à la fin de l'histoire tirée au départ, il doit piocher deux cartes.

      Lors de la présentation du jeu, le détail des règles ne doit pas être donné…ce serait trop indigeste pour les élèves ! Le rôle du professeur est de les rappeler et de les préciser au fur et à mesure du jeu (surtout pour le nombre de cartes à prendre par pénalité).

      " Erase una vez " est donc un jeu complet. D'une part, le hasard est introduit grâce aux cartes distribuées au départ qui sont plus ou moins difficiles à placer dans le jeu au cours de la narration. D'autre part, le conteur doit se mettre en valeur et justifier le tournant qu'il fait prendre à l'histoire. De cette manière, ce jeu revêt aussi un caractère théâtral. Mais, finalement, les joueurs sont en compétition et cherchent tous à gagner.

      De même le jeu de Kim (second jeu de compétition) adapté aux classes de primaire permet aux enfants d'apprendre des nouveaux mots de vocabulaire (ex : nom d'objets, couleurs). Le principe du jeu est de dire à voix haute et claire le plus grand nombre de noms d'objets. Les objets que les joueurs doivent nommer sont recouverts d'un drap. Le drap aura été soulevé au préalable. La classe étant séparée en deux groupes, c'est le groupe qui aura retrouvé le nom du plus grand nombre d'objets qui aura gagné.

      Le but de chaque élève est de faire gagner son propre groupe. Pour cela, il doit lui faire gagner le maximum de points. Il y a dix objets. Les objets devront être découverts pendant 30 secondes seulement à chaque fois. Tous les enfants doivent pouvoir voir parfaitement les objets lorsqu'ils sont découverts.

      Une fois que les objets sont recouverts par le drap, un des deux groupes seulement a la parole. Tous les enfants de ce premier groupe ont alors la parole mais pour un temps qui sera délimité par un sablier d'une minute. A chaque fois qu'un groupe a la parole, chaque enfant n'a le droit de dire le nom que de trois objets. Quand la minute s'est écoulée, le deuxième groupe a la parole pour une minute aussi. Le deuxième groupe doit citer de nouveau les objets déjà nommés par leurs camarades du premier groupe, et trouver aussi tous ceux qui n'ont pas encore été nommés. Quand le temps de parole d'un groupe s'est écoulé, les élèves et l'animateur comptent le nombre d'objets cités. Le nombre d'objets cités détermine le nombre de points obtenus.

      Quand une partie est terminée, les enfants et l'animateur recherchent quel groupe a cité le plus grand nombre d'objets. Ce groupe est celui qui a gagné la partie. Lors des parties suivantes, les enfants doivent associer le nom de l'objet à sa couleur puis à sa grandeur, puis les deux etc. Pour que le jeu donne les mêmes chances de gagner à chaque groupe, lors d'une deuxième partie le premier groupe qui prendra la parole sera celui ne l'avait eu qu'en second lors de la partie précédente. Les enfants n'ont pas de pénalité s'ils font une erreur en espagnol ou s'ils citent un objet qui n'est pas sous le drap. Ils ont le droit de prendre des notes ou de faire des dessins, s'ils le désirent ou en sentent le besoin.

      Ensuite le jeu de hasard (jeu de l'énigme) a rendu les élèves assez passifs. Cela n'était pas dû au hasard lui-même mais plutôt à la construction du jeu. En effet, le jeu de hasard expérimenté avec la classe de CE2 (jeu du chiffre mystère) faisait apparaître très clairement le hasard, ce qui a motivé les élèves. Enfin, le jeu de représentation (jeu de semi-improvisation) a permis aux élèves de pratiquer l'espagnol de tous les jours et de pouvoir être spontanés et créatifs. Ces résultats sont nuancés par les nombreuses difficultés de mise en place d'un jeu dans une classe de langue : trop grand nombre de joueurs, caractère des élèves et de la classe, niveau en langue des apprenants etc.La compétition, le hasard et le théâtre sont donc trois " moteurs " du jeu. L'expérimentation nous a montré qu'il est difficile de les isoler les uns des autres. Il ressort pourtant, d'une part que la compétition motive énormément les élèves, et tout particulièrement ceux de primaire (jeu de Kim). D'autre part, les jeux de hasard favorisent la répétition de certaines structures linguistiques. Enfin, les jeux de représentation permettent d'introduire un vocabulaire usuel et créent des situations de communication réelle.

Les jeux de représentation, contrairement aux précédents, ne peuvent pas s'adresser à des débutants car la timidité les empêche de s'investir dans le jeu. Pour qu'un jeu soit profitable pédagogiquement et linguistiquement, il est nécessaire que les apprenants aient un minimum l'habitude de ce jeu, quel qu'il soit.

      Enfin, plus le jeu contient de " moteurs ", plus il est utile pédagogiquement et linguistiquement. Plus il y a de mélange de type de jeu, plus les élèves ont de chances de se prendre au jeu. La difficulté réside donc dans la motivation des élèves. Il faut s'adapter le plus possible aux apprenants (goûts, niveau, besoins etc.). Quand ils connaissent bien un jeu, ils ont envie de gagner et donc de parler. Cette motivation leur permet d'apprendre plus naturellement et de comprendre intuitivement la mécanique de la langue.

      Emmanuelle Eyraud

      Résumé d'un mémoire de maîtrise LCE (Langue et Civilisation Etrangère) d'espagnol, obtenu en 1998 à l'université Paris X Nanterre (UFR de Langues), sous la direction de M. Darbord et de M. Porquier. Professeur de FLE et d'Espagnol, Emmanuelle Eyraud termine actuellement la rédaction d'un DEA en didactologie des langues et des cultures.


Retour au sommaire du n°60