Les TPE et l'Internet en cours de langue :
quels modèles didactiques ?



Le fait est là : les enseignants de langue utilisent l'Internet, pour eux-mêmes, mais aussi dans les classes. Et que voit-on? Des élèves de Seconde LV2 lire des textes les plus divers à la recherche de renseignements qui sont demandés sur la fiche de travail : des données touristiques, des informations sur la vie de lycéens allemands. Et ils leur écrivent, leur envoient des messages, à la recherche de correspondants, à la recherche d'un contact, avec des jeunes qui, comme eux surfent sur le net. Bref, ils se rendent compte qu'ils se débrouillent, ils comprennent l'essentiel de ce qu'ils lisent et peuvent communiquer dans la langue étrangère. Aurait-on enfin trouvé la manière d'apprendre l'allemand sans douleur ? En fait, derrière cet outils, il y a un facteur de motivation des adolescents, et cela pour plusieurs raisons que nous aborderons très brièvement

 

L'Internet, l'information, le savoir et le pouvoir

Posséder l'information, c'est posséder le pouvoir. Cet adage pouvait se vérifier quotidiennement, il y a peu de temps encore. Au lycée, l'information était filtrée, contrôlée, elle ne parvenait aux élèves que par les enseignants, les manuels et les journaux du CDI. La radio est absente. La télévision, quant à elle, est rarement accessible en dehors des cours animés par un professeur. Et soudainement, l'Internet se trouve en libre service dans les CDI, mettant les lycéens en mesure d'accéder à l'information sous toutes ses formes : l'écrit, la radio et souvent même la télévision, et dans toute sa diversité.

Ce libre accès à l'information a toutes les apparences d'une prise de pouvoir : l'élève n'est-il pas mis en situation de pouvoir décider, plus que par le passé, ce qu'il y a lieu de lire et d'apprendre, comment et quand l'apprendre? Peut-être, mais les connaissances ont besoin d'être organisées pour être apprises, et le pouvoir ne peut s'exercer seul. Si les jeunes ne se sont pas davantage emparés du pouvoir qui est désormais à leur portée, c'est qu'ils sentent bien avoir encore besoin d'être guidés dans leur quête. Ils ont besoin de médiateurs, de conseillers qui les aident à structurer l'information afin qu'elle devienne savoir accessible. C'est pourquoi nous dirons que l'Internet n'est encore qu'un support d'apprentissage de plus, même si - comme avec la vidéo - la manière d'apprendre en est quelque peu modifiée.

 

Une aide dans l'enseignement des langues

Les enseignants n'ont pas été insensibles aux possibilités nouvelles qu'offre l'Internet, à la fois pour la recherche documentaire - qu'elle soit effectuée par eux-mêmes ou par leurs élèves - et pour une manière nouvelle de communiquer, d'exposer des savoirs et de se les approprier. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, des expériences ont été faites, des comptes-rendus ont été publiés et les premiers articles de réflexion pédagogique voient le jour.

Pour le professeur de langue, le recours à l'Internet peut prendre des formes très diverses :

1- la recherche de renseignements et de documents de tous genres, de textes de référence, d'articles de presse ( www.yahoo.com donnait plusieurs centaines de sites en février 2000, tels que www.spiegel.de , www.focus.de ), d'idées de débat,

2- d'informations touristiques (lieux, hôtels, visites guidées, voyages organisés), de renseignements culturels, historiques, civilisationnels, pour les quels le moteur de recherche www.google.com reste (en mai 2000) le plus efficace et le plus clair dans ses résultats (et le plus rapide, car il ne transmet pas de publicité),

3- la participation à des forums ("listes") de discussion, comme celui de www.ac-nancy-metz.fr/enseign/allemand/adeaf/

4- la recherche de cours et d'activités linguistiques en tous genres (le site http://clem.mscd.edu/~mdl/gerresources/Welcome.html nous semble bien organisé, correctement mis à jour et renvoie à tous les grands sites comme www.deutsch-als-fremdsprache.de et www.goethe.de ), de textes didactisés (www.inter-nationes.de est l'un des plus complets en ce domaine, puisqu'il classe les textes par thèmes et par degré de difficulté, explique certains mots et donne des exercices d'entraînement), de travaux avec le corrigé, de dictionnaires gratuits, de grammaires de l'allemand (uniquement en anglais et en allemand pour le moment) etc.

5- la lecture de documents de réflexion didactique sur les emplois de l'Internet en cours de langue. Ces documents sont de plus en plus nombreux, s'appuient sur des expériences et des comptes-rendus d'expériences, c'est-à-dire sur un corpus de plus en plus important. Parmi les plus sérieux, signalons le mémoire "Online-Projekte im Fremdsprachenunterricht" de Anja BLOCK à l'université de Bielefeld (site www.uni-bielefeld.de/~ablock/texte/index.htm ). Le document - en allemand - comprend 87 pages d'une densité et d'une rigueur remarquables.

 

L'Internet qui est un excellent outil de préparation de cours et de recherche documentaire pour les enseignants peut-il devenir un moyen d'apprentissage pour les élèves ? D'aucuns - pensant peut-être que s'informer c'est savoir - ont imaginé qu'il suffisait de placer les élèves devant l'ordinateur pour qu'il apprenne. Notre expérience d'enseignants de langue rappelle que si cela peut être vrai pour quelques élèves, la presque totalité a besoin d'apprendre à se servir de ce nouvel outil, et d'être guidée dans les activités.

 

L'Internet et la motivation des élèves

On ne saura trop souligner l'extrême importance de la motivation des élèves, alors que beaucoup se retrouvent au lycée sans vraiment savoir pourquoi ils sont là, sans avoir de projet de vie. Et même quand ils le savent la motivation s'émousse vite dans des groupes (des classes) de plus de trente élèves, quand les progrès ne sont guère visibles du fait de l'enseignement extensif (3 heures hebdomadaires).

Les innovations pédagogiques comme le recours au document vidéo, au multimédia et à l'Internet, outre qu'elles permettent de faire acquérir une certaine maîtrise des nouveaux outils de communication, ravivent la motivation des élèves pour l'apprentissage des langues, surtout quand celles-ci, à l'instar de l'allemand ont la réputation (injustifiée?) d'être assez difficiles.

L'Internet apporte une source supplémentaire de motivation. L'élève qui apprend recherche le sens de ce qu'il lit ou entend. Quand il éprouve le besoin de s'exprimer dans la classe ou dans une copie, il ne voit pas toujours l'intérêt d'entrer dans le carcan d'une langue étrangère. S'il utilise l'Internet pour faire part de ce qu'il pense, l'effort qu'il fait pour s'exprimer dans la langue prend vraiment tout son sens. Et si quelque part un internaute lui répond, il se produit un échange authentique, comme jamais dans le cours (où tout est simulé).

L'apprenant de langue se trouve désormais en mesure d'appliquer immédiatement ce qu'il a appris, de le mettre à l'épreuve en tentant d'entrer en contact écrit avec des "locuteurs natifs". De ce fait, il prolonge l'enseignement/la séance d'apprentissage, choisit de nouveaux maîtres s'il le désire. Restons cependant réalistes, seule une minorité de lycéens tentera de voler de ses propres ailes. C'est à l'enseignant qu'il revient de mettre en place ces nouvelles formes d'apprentissage.

 

Bilan

Au cours des séances de classe (Seconde et Première), nous avons constaté que l'utilisation de l'Internet favorisait :

- l'accès aux connaissances par les documents authentiques, dans les domaines scientifiques,le culturel et l'interculturel

- la collaboration dans les recherches et les créations collectives

- la recherche d'activités lexicales et grammaticales liées au niveau propre de l'élève, ce qui demande une réflexion métalinguistique et une autoévaluation dont il pouvait se passer auparavant

- le travail dans la langue cible (les tâches sont effectuées dans la langue à apprendre

- les jeux de rôle et de simulation

- l'intégration des médias : image, son, vidéo, texte

- l'autonomisation dans le travail (planification, exécution, évaluation)

- l'authenticité de la communication avec des autochtones ou entre élèves

- la motivation par les aspects ludiques de la recherche libre et dans l'oganisation du travail, par le plaisir de constater que l'on peut comprendre les mêmes sites que les jeunes Allemands

- la modification de la conception de l'apprentissage des langues, en particulier par la réalisation de tâches complexes, avec partage du travail et publication de l'œuvre réalisée pour se présenter, informer, faire rêver

- un nouveau mode d'apprentissage en lycée : par la lecture de textes que l'on ne comprend pas parfaitement, mais qui nous livre les informations recherchées (beaucoup d'élèves font part de leur étonnement à ce sujet - preuve de sa nouveauté à leurs yeux)

- à l'opposé, la nécessité d'orthographier avec exactitude les termes lancés dans les moteurs de recherche

- sans négliger la fierté de parvenir à naviguer efficacement sur la Toile

 

En leur montrant tout ce que peut apporter l'Internet dans la connaissance de soi, de ses valeurs, mais aussi de celles des autres, en leur faisant vivre tout l'enrichissement de l'échange avec l'Autre, y compris en langue étrangère, tout enseignant contribue à l'œuvre d'éducation de chaque génération nouvelle. Consciente de ses responsabilités, celle-ci affrontera l'égalité dans l'accès à l'information et la connaissance avec l'humilité de celui qui sait ne comprendre que peu de choses, mais sera désireux de bien faire, dans le respect des autres et du bien commun.

Alain Verreman


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