Le cours de langue et la recherche documentaire sur Internet
Alain Verreman


  L'imagination, l'invention et l'élaboration d'activités scolaires nouvelles qui s'appuient sur les possibilités du support Internet sont du ressort de l'ingénierie didactique. Celle-ci est particulièrement sollicitée du fait de la demande provenant à la fois des élèves et de leurs familles et des autorités de tutelle. Et les enseignants et concepteurs peuvent se féliciter des apports du nouveau média qui leur permet de communiquer, par sites Internet et listes de diffusion interposées, les trouvailles didactiques, les activités livrées "clés en main" et autres "bonnes idées", bref d'échanger réflexions et expériences et de progresser plus rapidement que par le passé dans l'élaboration de ces nouveaux dispositifs d'apprentissage.


Le modèle de la tâche

Pour y voir un peu plus clair, prenons un premier modèle de classification des activités d'apprentissage, effectuées dans l'utilisation de l'Internet en cours de langue, en prenant comme critère leur destination. Nous constatons ainsi qu'elles peuvent viser : l'entraînement à l'emploi de certains éléments de la langue, comme les idiomatismes ou les tournures grammaticales (LANGUE); la compétence de communication dans la langue étrangère, même si la grammaire n'est pas toujours bien respectée (COMMUNICATION); l'effectuation d'une tâche (résoudre un problème de mathématique, étudier un point d'histoire, faire une exposition … ) dans laquelle la langue étrangère est le support linguistique et non plus le but direct de l'apprentissage (TACHE).


La pédagogie du détour

On le voit, l'expérience décrite relève principalement de la dernière catégorie. Les élèves cherchaient à présenter un lycée allemand (en comparaison avec ce qu'ils avaient appris dans le manuel) ou bien ils préparaient un séjour familial à Husum. La langue devenait un simple médium … Les comportements en classe indiquent que certains élèves ont visiblement besoin de ce détour pour s'intéresser à la langue. Cela provient éventuellement d'un phénomène d'usure quand on a appris la langue depuis l'école primaire et que l'on est si loin de bien la parler et de l'écrire sans faute. Cette "pédagogie du détour" pourrait faire l'objet d'expérimentations et de théorisation en ce qui concerne les langues étrangères, en particulier dans les classes européennes où la DNL (discipline non linguistique) pourrait prendre d'autres formes que le cours. L'Internet ouvre de nombreuses possibilités, en particulier dans l'optique des Travaux Personnels Encadrés.


De nouveaux modes d'apprentissage de la langue

A travers les recherches sur sites allemands les élèves apprennent la langue tout d'abord selon le mode de l'imprégnation et de la répétition. Certains termes et certaines tournures sont repris de nombreuses fois, puis sont inscrits de mémoire sur les fiches, à la fin des séances. D'autre part, beaucoup d'élèves se trouvent pour la première fois confrontés à une masse de termes et de petits textes authentiques, c'est-à-dire destinés aux allemands. Jamais ils n'auraient accepté de lire une telle masse de documents pour faire une recherche sur papier. Il y a donc un effet lecture de grande importance, de lecture rapide avec repérage des mots les plus significatifs. Dans notre expérience, les "bons" élèves n'y sont parfois pas parvenus, car ils tentaient de tout déchiffrer. D'autres élèves ont su repérer les termes les plus significatifs pour comprendre l'essentiel des documents. De cette manière, il se produit un apprentissage lexical partiellement inconscient, mais d'une ampleur non négligeable. Le sens des termes inconnus est inféré à partir du contexte, de similitude avec des mots français ou anglais ou de racines connues.


La méthode inductive globale

Même si parfois il était nécessaire de donner des explications préalables, on peut parler dans ce type de travail de méthode inductive globale. A cela s'oppose la méthode déductive dans laquelle est proposé un document dont l'apprenant déduit les composantes informationnelles, lexicales et grammaticales. Ici, c'est le contraire. A partir de nombreux éléments recueillis ici et là, les élèves sont amenés, lors des bilans en classe plénière, à "construire" le lycée qu'ils veulent présenter, le lieu de villégiature où ils veulent emmener leur famille. La langue est prise dans sa globalité, dans sa forme vivante, telle qu'aucune grammaire ne peut rendre compte complètement à l'heure actuelle. Le travail en groupes donne au professeur le loisir d'intervenir individuellement lorsque des difficultés se présentent, sans nier que les coéquipiers le font aussi, quoique de manière moins formatrice, en se contentant de donner la réponse. Quand le professeur indique à un élève d'aller sur un site de grammaire et d'y exécuter quelques exercices avec corrigé (il faut parfois faire dix essais pour obtenir la réponse et une brève explication!), le duo enseignant/apprenant se trouve dans une situation rarement rencontrée dans les classes nombreuses.
Il ne s'agit plus seulement d'amener les élèves à réfléchir sur les "informations pertinentes" données par le professeur, mais de les mettre en mesure à la fois de décider quelles sont les informations pertinentes et de démontrer qu'elles le sont. C'est un changement de paradigme. Dans le premier cas, il était encore possible de manipuler la réflexion en fournissant les informations qui allaient dans le sens souhaité. Dans le nouveau paradigme, il y a de fortes chances que l'internaute trouve des informations contradictoires qu'il devra être en mesure de gérer. Ce sera une tâche difficile pour l'élève du cycle terminal des lycées, qui reste un généraliste, là où un étudiant de maîtrise, hautement spécialisé, devrait être à même de se faire une idée précise et nuancée du phénomène étudié.


Conclusion

Quoi qu'il en soit, un nouveau champ didactique est apparu et l'enseignant ne peut l'éviter. Etant lui-même en recherche, il imagine, expérimente et finalement sélectionne les modes de formation qui rendront les élèves progressivement aptes à choisir les informations pertinentes du sujet qu'ils tentent de s'approprier. La tâche est d'une telle ampleur qu'elle requiert beaucoup de modestie.
On a peut-être eu tendance à sous-estimer les capacités des élèves quant au travail en autonomie, oubliant que souvent ils sont seuls pour faire leurs devoirs de maths ou pour effectuer des recherches et rédiger leurs dissertations d'économie, de littérature ou de philosophie. Avec une bonne préparation , quelques techniques pour le travail de groupes et la recherche documentaire, un peu de guidage, une bonne motivation et beaucoup d'encouragements, ils sont capables de prouesses. Dans le domaine des langues, on peut supposer que la mise en autonomie progressive des élèves passera par l'utilisation de fiches de travail et de "carnets de bord" constituant un guidage, qui avec la montée en puissance des TPE, sera de plus en plus souple.
L’article complet est paru dans le numéro de juin 2001 de : www.alsic.org p. 5-37.


Alain Verreman


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