Petite revue de théories de référence
Comment s’effectuent les apprentissages
Le problème qui se pose est de définir comment faire
entrer en mémoire les mots, les règles, la langue, de
telle sorte qu‘on puisse la comprendre, la parler et l’écrire.
En observant les apprenants, les chercheurs ont trouvé plusieurs
types d‘explication.. Piaget, qui dès les années
1920 a admis avec Wallon et Bruner l’idée que le savoir était
quelque chose qui ne s‘accumulait pas, mais se construisait,
a donné un assise psychologique aux partisans des méthodes
actives. Selon Célestin Freinet et l’Education Nouvelle
(GFEN), c’est en créant et en réfléchissant
sur leurs créations que les élèves peuvent construire
leur savoir.
Gérald Schlemminger qui a repris ces postulats pour l’apprentissage
des langues en a conclu que :
- l’apprenant doit disposer d’une variété d’outils
telle qu’il peut choisir sa méthode de travail, sa progression
et les moyens pour apprendre
- pour apprendre de manière socialisante, il faut du travail
en groupes, des débats. Il faut avoir quelque chose d’intéressant à communiquer
- l’outil doit permettre un apprentissage par l’expérimentation,
par la découverte et par la recherche
- l’outil n’est qu’un support à la disposition
des professeurs et des élèves, l’intérêt
sera marqué par son ASPECT LUDIQUE.
L’enseignement mutualiste : Avec l’Internet, on retrouve
l’enseignement mutualiste appelé aujourd’hui "apprentissage
coopératif ou collaboratif entre pairs". Au-delà des
valeurs morales et de l’aspect relationnel plus authentique,
il libère le professeur de l’enseignement collectif pour
rendre possible l’aide individualisée à l’intérieur
du cours.
Ces pratiques pédagogiques ont reçu une assise théorique à travers
les travaux sur l’apprentissage qui se sont partagés en
plusieurs courants :
Le courant cognitiviste
Le courant cognitiviste s’est intéressé à la
manière d’appréhender les savoirs nouveaux.
Selon le modèle ACT d’Anderson (1983), la cognition humaine
comporte trois mémoires distinctes où sont "rangées" les
connaissances : la mémoire déclarative, de travail et
de production. La mémoire déclarative et celle de production
communiquent et échangent des connaissances uniquement avec
la mémoire de travail. Toute nouvelle connaissance est d'abord
stockée sous forme déclarative, puis quand elle s'avère
utile, elle est interprétée par des procédures
et va donner lieu à des comportements. Ceux-ci vont être
traduit en règles. Avec le temps et la fréquence d'activation,
ces connaissances vont être compactées et généralisées
en règles. C’est ce qui se passe aussi pour l’apprentissage
des langues. Par l’activation fréquente des connaissances
linguistiques se produit un phénomène de routinisation
appelé il y a peu phénomène de transfert qui produit
des automatismes langagiers (IO 1992).
Dans une approche résolument cognitiviste, Jan Plass s’est
intéressé à l’utilisation du multimédia
dans l’apprentissage des langues sous l’aspect de la psychologie
de l’apprentissage. Il prend l’exemple de l’étude
de texte : les processus cognitifs pour le travail sur le texte et
sa compréhension. Il voit trois aspects à l’apprentissage
avec les TICE :
- l’hypothèse du double codage Doppelcodierung de Paivio
(1986) : contenu verbal+contenu visuel = meilleure mémorisation
- l’hypothèse de la charge cognitive Kognitive Last :
la ’surabondance d’information’ des TICE-MM dérange
le traitement de l’information (Chandler-Sweller 1991)
- l’hypothèse générative de l’apprentissage
multimédial (Mayer, 1997). C’est l’étude
du choix des informations visuelles et verbales et des relations référencielles
entre le système verbal et le système visuel.
Le contexte d’apprentissage
A la fin des années quatre-vingt on admet l’idée
que la cognition est indissociablement liée au contexte dans
lequel elle se développe et se déploie. On parle de " cognition
en situation " (situated cognition) ou d’apprentissage
en situation (situated learning) (Kirshner et Whitson, 1997; McLellan,
1996). Pour les tenants de l’approche socioculturelle de la cognition,
qui s’inspirent de Vygotsky (1978) et soulignent le contexte
socioculturel dans lequel s’inscrit toute activité cognitive
(Brown et al., 1989; Lave et Wenger, 1991), apprendre, c’est
se rendre de mieux en mieux capable de participer aux pratiques sociales
de son milieu. D’autres insistent plutôt sur l’idée
que toutes les actions de sujets intelligents doivent être adaptées
aux contraintes et aux potentialités (affordances) de l’environnement
et sur l’importance de la rétroaction et de l’organisation
mutuelle. Enfin, un troisième groupe défend l’idée
que la cognition n’est pas un phénomène qui " réside " uniquement
dans la tête d’un individu, car on trouve également
de l’intelligence dans les objets physiques et les individus
avec lesquels il interagit. On parle alors de " cognition
distribuée " (Salomon, 1997).
L’approche contextuelle de la cognition incite donc l’enseignant à instaurer
des contextes authentiques (Brown et al., 1989;), à favoriser
l’accompagnement cognitif (cognitive apprenticeship) (Collins
et al., 1991; Rogoff, 1990), à ancrer l’enseignement dans
des environnements qui permettent d’explorer le savoir de différents
points de vue (CTGV, 1990, 1993; Spiro et al. 1992) et à créer
des groupes de construction du savoir (Hewitt et Scardamalia, 1998).
La théorie constructionniste
La théorie constructionniste affirme que l’on peut apprendre
en construisant un objet, par l’intermédiaire de tâches (Seymour. Papert 1991).
La théorie interactionniste
Selon la théorie interactionniste, l’apport langagier
se produit non pas par des exposés, mais lors d’échanges
entre apprenants dans un contexte de communication authentique et motivante.
Si une incompréhension se produit, l’apprenant fixe son
attention sur la difficulté et cherche à comprendre le
fond et la forme (lexique et syntaxe). Une négociation de sens
a lieu à ce moment entre interlocuteurs, ce qui aboutit à la
compréhension lexique ou syntaxique, à la saisie de ces éléments
et à leur intégration dans le système linguistique
de l’apprenant. Par une production langagière qui lui
permet de faire passer son message, l’apprenant reprend ces éléments,
fournissant un nouvel apport (input) à lui-même et à ses
interlocuteurs (Gass, 1997, Long, 1998, Chapelle 2001). Certaines études
ont montré que l’efficacité de la concentration
sur la forme dépendait de trois facteurs : du type d’attention
de l’apprenant, du degré de manipulation de la forme linguistique
et de l’apport d’informations métalinguistiques.
Mais l’efficacité n’est assurée que si ces éléments
concourent à l’amélioration d’une communication
authentique, dans des activités qui soient réellement
motivantes, provoquant de véritables interactions (Doughty et
William, 1998).
L’acquisition d’un apport langagier est plus probable
lorsque l’étudiant y prête attention (Schmidt 1990,
Robinson 1995). Les apprenants doivent d’abord être attentifs à la
forme de l’apport langagier avant même de pouvoir l’acquérir.
Etre attentif à la forme tout en s’engageant dans une
utilisati0on dans une utilisation appropriée de la langue est
ce que la recherche appelle ‘concentration sur la forme’.
L’attention ou la concentration sur la forme peut mener l’étudiant à comprendre à la
fois la sémantique et la syntaxe (Carol A. Chapelle 2000).
Dans le ‘focus on form’ (grammaire à la demande),
Long et Robinson rejettent toute présentation de grammaire non
contextualisée, ils rejettent aussi la fixation sur "les
formes" (Focus on FormS) des approches lexicales et structurales,
qui vont des méthodes grammaticales jusqu'à la Total
Physical Response trop behavioriste :
Lors d’une interaction centrée sur le message, toute
concentration sur la forme se réduit souvent à certains
aspects du code linguistique apporté par l’enseignant
et par un ou plusieurs étudiants. En effet, l’attention
portée sur la forme est généralement provoquée
par la perception de problèmes de compréhension ou de
production.
Long et Robinson p.23
Mais cette conception de l’apprentissage crée des problèmes
dans les pays où les élèves sont bien conscients
de la grammaire de leur langue maternelle, et pour l‘apprentissage
d‘une langue très étymologique comme l‘allemand.
L‘étymologie est une aide puissante de la mémoire
dans la compréhension et l‘expression.
De plus, ils rejettent la fixation sur le sens - focus on meaning -
qui accentue trop une certaine quantité d’évidences
positives’ de ce qui est possible en LE (cf. l’Approche
Naturelle de Krashen et Terrell) Ils proposent la "concentration
sur la forme" qui réhabilite certaines formes de travail
grammatical formel, mais dans un contexte marqué par le sens,
cours d’interactions orales, mais aussi textuelles et médiatiques.
Pusack propose de remplacer le terme ‘concentration sur la forme’ de
Long par celui de grammaire à la demande Just-in-time-grammar
qui est subordonnée à la production de sens. mettent
l'accent sur le fait que l'on apprend mieux en exécutant des
tâches, pourvu qu'un éclairage grammatical arrive à point
nommé. C'est une prise de distance par rapport au cognitivisme
qui met l’accent sur la réflexion grammaticale qui s'effectue
en dehors de toute situation communicative: Le constructivisme (le
savoir se construit en interaction sociale) n'est pas rejeté pour
autant, car en montrant l'aspect social de l'apprentissage (S. Papert),
il tend à démontrer l'intérêt du travail
en groupe sur des tâches qui favorisent une communication authentique.
Selon Snow (1997), un environnement d’apprentissage devrait idéalement
offrir des cheminements individualisés permettant aux apprenants
d’atteindre des buts personnels d’apprentissage, des cheminements
alternatifs leur permettant d’en choisir un adapté à leurs
aptitudes, styles cognitifs et styles d’apprentissage, et des
cheminements de remédiation pour certains apprenants qui doivent
développer des habiletés particulières. Il est
difficile d’offrir une telle variété de cheminements
sans utiliser les TIC (Ayersman et von Minden, 1995).
Ces nouvelles théories explicatives présentent l'avantage
de mettre au centre des tâches linguistiques la découverte
culturelle et la réflexion interculturelle, rendues aisées
par l'accès aux documents par l'Internet. Cela signifie que
l'enseignement des langues ne peut être réduit à l'apprentissage
d'un outil. La culture du pays étranger - au sens de la connaissance
de la vie quotidienne, du patrimoine culturel et des modes de pensée
- est une matière noble autant que le Français, les Maths
ou l'Histoire. Il n'y a pas de bonne connaissance de la langue sans
une bonne connaissance culturelle liée à la langue.
On peut en tirer certaines conclusions quant à l’enseignement
des langues. Celui-ci pourrait s’appuyer sur des plates-formes
d'apprentissage ou des unités linguistiques thématiques
plutôt que sur des exercices, si attrayants soient-ils. Ceux-ci
en font partie dans le cadre de la 'grammaire à la demande'
(GRalDE) comprenant une réflexion grammaticale semi-guidée
et des items d'entraînement. Le cœur des unités est
constitué par des parcours de recherche, c'est-à-dire
tâches complexes à effectuer en équipe, en individuel
et en classe plénière. Les élèves peuvent
avoir recours à des correspondants pour trouver les renseignements
qui leur permettront d'effectuer la tâche. Durant les activités,
le professeur joue le rôle de conseiller linguistique et technique.
Sources :
Josianne Basque 2002 Qu’est-ce qu’un apprenant? Le point
de vue des sciences cognitives, Télé-université,
Montréal (Québec), Canada.
Carol A. Chapelle 2000 "Interaction, communication et acquisition
d’une langue seconde en ELAO" in : L. Duquette et M.
Laurier Apprendre une langue dans un environnement multimédia
Les Editions logiques, Outremont, Québec, Canada, p. 19-51.
Long et Robinson 1998 “Focus on form : Theory, research
and practice”, in C.Douchty/J.Williams : Focus on form in
Seceond Language Acquisition, Cambridge, Cambridge University Press,
p. 15-41.
Seymour Papert 1991 « Situating Constructionism »,
in Papert/Harel Constructionism , Norwood,N.J., Ablex)
Jan Plass 1999 "Lernpsychologische Grundlagen der Verwendung von
Multimedia in der Fremdsprachenausbildung" Fremdsprache lehren
und lernen FLuL 28/1999, p. 14-31.
James P. Pusack : "Tasks, Negotiation, and Grammar : The Intructional
Roles of Multimedia in the Production of Meaning". Fremdsprache
lehren und lernen FLuL 28/1999, p. 44-57.
Remarque: Nous avons limité volontairement la bibliographie.
Le lecteur intéressé pourra trouver ces références
comme nous-même par les moteurs de recherche sur Internet.
Alain Verreman